entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

dimanche 19 juin 2011

Faut-il coucher pour réussir ?

Vince McCain : Vous savez, Willa, vous ne devriez pas vous habiller comme ça au bureau, on pourrait s'imaginer que vous êtes prête à coucher pour y arriver.

Willa Weston : Du moment qu'on ne s'imagine pas que je suis prête à coucher pour arriver à rien.

Kevin Kline et Jamie Lee Curtis dans Créatures féroces, 1997


Étant donné sa carrière dans l'industrie pornographique, on pourrait supposer que Quentin ne soit pas réellement concerné par cette question : faut-il coucher pour réussir ? J'avoue que j'ai été bien surpris quand il m'a appelé pour me faire part de ses scrupules à ce sujet.
« - Quentin, tu te fous de moi ou quoi ? Ton travail C'EST coucher !
- Mais justement, c'est mon métier. Et je ne couche qu'avec des personnes pour qui c'est aussi le métier. »
En fait, Quentin avait passé ce jour là un casting pour un film réalisé par l'une des plus célèbres maisons de production de pornos, le rôle proposé était pour lui un bon moyen de booster sa carrière. Tout s'était bien passé, il avait fait un bout d'essai avec une actrice (sans sexe) et il avait pu présenter des vidéos de ses meilleures scènes d'action (j'étais loin de croire qu'un casting pour un rôle dans un film de cul se rapprocherait autant d'un entretien d'embauche plus conventionnel). Il a dû être convaincant puisqu'il a obtenu le rôle désiré, celui de Franz, le touriste allemand fasciné par les coutumes locales. Mais, au moment de partir, la directrice du casting, une ancienne actrice ayant raccroché une dizaine d'années auparavant, lui a fait comprendre de la manière la plus explicite qu'il soit que, s'il désirait obtenir le premier rôle (celui de Diego, le héros fornicateur d'origine dalmate), il lui suffisait d'accepter de se retirer avec elle dans un lieu plus intime pour quelques galipettes non filmées.
Quentin se retrouva alors sans voix, mi-choqué mi-stupéfait, il n'avait pas su quoi lui répondre.
« - Comment ça « tu n'as pas su quoi répondre » ?
- Je lui ai dit que je devais y réfléchir. Elle m'a donné jusqu'à demain soir pour me positionner sur le rôle de Diego.
- J'avoue avoir du mal à comprendre, lui dis-je, tu n'es quand même pas contre l'idée de « vendre » tes prestations de chambre. Pourquoi refuser de le faire pour un rôle qui te tient à cœur ? »
N'allez pas croire que sous ses airs hésitants et prudes, Quentin fasse preuve d'une vertu sans nom. Je sais qu'en échange de quelques cadeaux de prix (manteau en cuir, montres, week-end dans des palaces...), il a pu se montrer très affectueux avec de vieilles amies : en gros, le concept de la prostitution ne lui pose pas plus de cas de conscience que ça.
« - Je ne sais pas, je crois que... je crois que je ne suis pas prêt à tout pour réussir, j'ai des limites, une morale et… et je n'avais jamais réellement réfléchi à cette possibilité. Toi, tu coucherais pour ta carrière ?
- Non, répondis-je honnêtement, mais je ne coucherai pas pour de l'argent non plus (je suis un grand généreux, je fais ça gratos moi mesdames !).
- Ce n'est pas la même chose. Je sais que ça peut paraître idiot mais c'est différent. Ce n'est pas du sexe avec une actrice payée pour ce travail comme pour un autre, ce n'est même pas une relation commerciale comme le tapin, c'est coucher pour réussir.
- Tout ce que je peux te dire Quentin, c'est que tu es le seul capable de prendre cette décision. Il n'y a que toi pour dire ce que tu es prêt à faire pour ta carrière. »

Visiblement, Quentin n'est pas prêt à se prostituer pour sa carrière (vu son passif, cela nous surprendra peut-être mais c'est ainsi, ses valeurs personnelles ne sont pas soumises à négociation). Mais nous qui avons des parcours professionnels plus « communs », jusqu'où pourrions-nous aller ?

Les histoires de coucheries dans le monde de l'entreprise sont monnaie courante (j'aurais l'occasion d'y revenir régulièrement sur ce blog, rassurez-vous) mais celles qui arrivent jusqu'à nos oreilles sont généralement assez peu liées à une soif carriériste, plutôt à une libido incontrôlable.

Cherchez un peu qui dans votre entourage professionnel aurait pu, selon vous, coucher pour donner un coup de pouce à sa carrière, vous avez déjà quelques noms ? Je sais que la médisance naturelle alimentée par les ondes de Radio Moquette fait rage dans le domaine professionnel et qu'elle vous permettrait bien de citer au moins deux noms.
Moi j'en ai bien quatre ou cinq (dont celui de ma collègue Patricia mais je ne trouve pas que sa carrière soit vraiment une réussite...). Par exemple, dans ma banque, on raconte que le Directeur marketing est parvenu à ce niveau de responsabilité grâce à ses prestations nocturnes auprès de la Directrice générale d'une autre entreprise du groupe. Bien sûr, c'est un bon Directeur marketing et ses résultats sur ce poste sont tout à fait à la hauteur, mais personne ne doute que sa relation avec quelqu'un d'aussi bien placé dans les organes décisionnels du groupe n'a pu être qu'un atout quand on a commencé à se questionner sur le nom du futur Directeur marketing. Après, allez savoir si cette relation était calculée, si cet honorable quinquagénaire s'était dit qu'en fricotant avec la belle dame, il s'assurerait une place au soleil. Moi, je doute que la situation aie été aussi clair pour ce monsieur qu'elle ne l'a été pour mon ami Quentin.

Ce dernier par ailleurs n'a pas eu à se plaindre de ses scrupules, le destin a donné raison à sa probité. Il s'avéra que la directrice du casting transportait toujours avec elle certains petits animaux forts indélicats et que le jeune acteur aux dents longues (et à l'instrument de travail de taille proportionnelle) qui a accepté de deal pour avoir le rôle de Diego, aie, après leurs petites affaires, ouvert lui aussi une réserve naturelle proposant un écosystème accueillant pour ces charmantes bestioles. La direction ayant eu vent de ce petit problème zoologique et du risque de transmission aux autres acteurs, a décidé d'éloigner le jeune premier en question et de donner le rôle de Diego à un autre. Quentin ne fut pas choisi mais il campa le personnage de Franz avec grand professionnalisme et implication, ce qui lui permit d'être remarqué par le réalisateur pour son prochain film (une sombre histoire policière à ce que j'ai compris). Peut-être que sa carrière n'a pas connu le petit coup d'accélérateur qu'il attendait mais il peut au moins se dire aujourd'hui qu'il ne la doit qu'à ses performances sexuelles et non au fait d'avoir coucher.

Ça a l'air idiot formulé comme ça...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire