entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

lundi 25 juillet 2011

Mon boss veut se débarrasser de moi

Louise est selon moi une collaboratrice modèle, impliquée et professionnelle en toute situation. D'humeur égale, je pense bien que ses différents managers n'ont jamais eu à se plaindre d'elle, au contraire.
Et pourtant, en la voyant arriver de soir-là dans notre troquet habituel, j'ai tout de suite vu que quelque chose la tracassait et que, œil de RH oblige, cela concernait son travail. Sans un mot de plus que les habituelles salutations, elle s'installa à coté de Karim et commanda un soda sans sucre.
« - Et bien Louise, lui demandais-je, que se passe-t-il ?
- Rien, rien du tout.
- Raconte, tu verras ça te fera du bien.
- Ben, je ne sais pas trop en fait, c'est quelque chose que m'a dit mon chef ce matin.
- Qu'est-ce qu'il t'a dit ? l'encouragea Béatrice.
- Ce n'est pas trop ce qu'il m'a dit, mais plutôt la façon dont il me l'a dit. J'étais en train de rédiger une lettre de relance pour un de nos clients norvégiens quand il m'a demandé de venir dans son bureau. Là, il me dit de m'assoir et me demande tout d'un coup comment j'envisageais mon évolution au sein de l'entreprise.
- C'est plutôt sympathique.
- Qu'est-ce que tu as répondu ?
- Mais que tout allait bien, continua Louise, que j'étais tout à fait intégrée dans l'équipe et que j'aimais ce que ce je faisais et donc que je ne souhaitais pas forcément changer de poste.
- Et ?
- Et alors il a insisté, il m'a demandé si je n'avais jamais réfléchi à bouger, si je m'étais rapprochée des RH pour parler mobilité. A un moment, il m'a carrément sorti une offre d'emploi pour laquelle mon profil correspondait parfaitement. Je me suis sentie si mal à l'aise, j'ai eu l'impression qu'il voulait se débarrasser de moi.
- A-t-il des raisons d'être mécontent de ton travail ?
- Non, il me répète tout le temps que je suis le meilleur élément de son équipe.
- Bon, ce n'est pas bien grave, conclus-je.
- C'est bien vrai docteur RH ? demanda Béatrice en rigolant, elle n'est pas condamnée ? »

En fait, Louise est loin d'être condamnée, elle a juste été reçue par un manager nouvelle génération, un manager qui prend soin de ses collaborateurs et qui souhaite inscrire leur relation dans un cadre un peu plus large que la simple exécution de la charge de travail quotidienne. Bon, l'entrée en matière et l'insistance qu'il y a mis étaient peut-être déplacées ou mal-interprétées par Louise mais l'intention est plus que louable.

La maladresse du manager de Louise a créé beaucoup d'inquiétudes pour rien, elle a réveillé en mon amie cette peur primaire qui fermente discrètement dans l'inconscient de tout employé : « mon boss veut se débarrasser de moi ». C'est une peur si solidement ancrée en nous que, inconsciemment, nous sommes prêts à interpréter le moindre petit signe et à mordre celui ou celle qui oserait en être la source. Peu d'employés se sentent suffisamment sûrs d'eux pour ignorer cette crainte ancestrale.

Peut-être que cette peur est liée au marché de l'emploi difficile en France depuis tant d'années. Peut-être est-ce dû à toutes ces histoires que nous entendons sur ces employés modèles licenciés manu militari après de nombreuses années de bons et loyaux services. L'histoire à de quoi rendre craintif les collaborateurs...

Moi, je pense qu'on peut faire une interprétation beaucoup plus freudienne de la chose. Pour moi, on peut remonter jusqu'à la petite enfance, aux premiers pas dans le système éducatif. La maîtresse, facilement assimilable au manager d'équipe, distribue les bons et les mauvais points et surtout, a le pouvoir d'isoler du reste de la classe l'élément perturbateur : la honte suprême pour tout enfant ! Une honte si forte qu'elle créera un fort traumatisme et une peur instinctive de tout signe avant-coureur d'une potentielle exclusion du groupe, CQFD.

Bien sûr, quand j'ai fait part de mes conclusions de psychologue de bas étage à Karim qui gère une équipe de six personnes, il a haussé les sourcils et m'a souri : on lui avait déjà fait remarqué que le rôle de manager était équivalent à celui d'un père de famille nombreuse. Je ne sais pas trop quoi en penser mais je me suis dit que Freud aurait pu écrire encore plus de bouquins s'il s'était plus penché sur le monde du travail.

Le lendemain, Louise a eu la surprise de recevoir un e-mail de son manager, un long e-mail qui reprenait dans le détails l'échange qu'ils avaient eu la veille. Je ne lui ai évidemment pas dit de se méfier même si on sait pertinemment en RH qu'un manager qui écrit est un manager qui prend ses précautions. Je lui ai juste conseillé de répondre à l'e-mail et d'expliquer par écrit son point de vue afin d'affirmer une nouvelle fois sa motivation, son bien-être et son attachement à son poste actuel.

En fin de compte, je ne pense pas que son manager voulait se débarrasser d'elle, Louise est une collaboratrice de trop bonne qualité pour être mise au rebut du jour au lendemain, j'imagine que son manager voulait juste s'assurer qu'on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir essayer d'accompagner les membres de son équipe dans leur évolution professionnelle (volonté peut-être fortement encouragée par la direction et les RH).

jeudi 14 juillet 2011

Les 10 questions les plus débiles qu'on peut vous poser en entretien d'embauche 2/10

« Et vos parents ? Ils font quoi dans la vie ? »

Une fois encore, vous êtes chanceux : vous avez devant vous un recruteur champion du monde ! Une espèce en voie de disparition (on espère en tout cas) de RH rétrograde qui entrave allègrement toute règle de non discrimination en vous posant une de ces questions qui devrait être définitivement reléguée à l'École des fans de Jacques Martin :
« Mon papa, c'est le gros monsieur là-bas à gauche, avec le caméscope et il est inspecteur des impôts alors me casse pas trop les cacahouètes avec tes questions débiles et laisse-moi chanter. »

Que dire de la fantastique mais toujours trop récurrente question sur la profession des parents ?

Dans un premier temps, ne nous faisons pas d'illusions, cette question n'est qu'une manière assez peu déguisée pour votre interlocuteur de déterminer votre milieu social d'origine. Ah Discrimination quand tu nous tiens...

Ensuite, dites-vous que, quelle que soit votre réponse, la profession de vos parents sera irrémédiablement accompagnée dans l'étroite mais tortueuse cervelle de votre interlocuteur par une masse de clichés éculés.
Par exemple :
  • Vos parents travaillent à l'usine ? Chouette se dira-t-il ! Vous êtes le fils de prolétaires vertueux qui ont su inculquer à leur progéniture les valeurs du labeur difficile et honnête. Et vous, fier bourgeon de cette union ouvrière, vous avez su vous extraire de cette fange plébéienne grâce à vos efforts, votre courage et votre abnégation. Bel exemple de réussite et d'égalité républicaines, vous serez peut-être corvéable à merci pour un salaire misérable. Problème : vous êtes probablement socialiste voir pire, communiste... Argh !
  • Vos parents tiennent un ou deux commerces dans une grosse ville de province ? Vous êtes un fils de la petite bourgeoisie commerçante, élevé dans son joli cocon doré, qui n'a rien foutu au lycée et qui, après avoir plus ou moins réussi sa couteuse école de commerce (ESC Vesoul ou Quimper) tentera de trouver un petit boulot pépère avant de reprendre la boutique de papa. Bon point pour vous : vous votez sûrement à droite !
  • Vos parents sont fonctionnaires ? Alors là, je crois que vous tenez le pompon des clichés, pourquoi ne pas dire qu'ils sont délégués syndicaux pendant que vous y êtes ! Une fois, un recruteur a carrément déclaré à Béatrice que si ses parents étaient fonctionnaires, l'entretien pouvait s'arrêter tout de suite. 
  • Vos parents dealent de la drogue ? Ah c'est bien le commerce, pourvu que le sens des affaires soit inscrit dans vos gênes pourra se dire votre recruteur...

Normalement, passé trente ans, cette question stupide parmi tant d'autres ne vous sera plus trop posée (c'est déjà ça) pour une seule et simple raison : à cet âge, on considère que vous êtes libéré du joug de vos parents et que vous êtes un être pensant à part entière. On pourrait croire qu'il y a une sorte de logique sous-jacente mais franchement, je le me demande encore.

La réponse parfaite à notre question débile numéro 2 ? Il n'y en a pas vraiment.
Dites-vous que si vous voulez réellement le job, cela ne vaudra pas le coup de jouer les offusqués ou d'essayer de faire la morale à votre interlocuteur (franchement, vous n'y gagnerez pas grand chose).
Par contre, si vous n'avez pas peur de bluffer un peu, dites que vos parents sont décédés. Ça devrait clouer le bec au recruteur et le mettre suffisamment mal à l'aise pour qu'il change de sujet et se concentre sur d'autres aspects importants de votre candidature, vos accointances politiques, votre orientation sexuelle ou vos croyances religieuses par exemple...

mercredi 6 juillet 2011

Petites discussions d'ascenseur

Les colloques RH organisés par le groupe anglais auquel ma petite banque appartient sont d'un ennui mortel. Il s'agit de réunion de gros pontes des Ressources Humaines venus pour se féliciter les uns les autres de leurs actions et de leurs méthodes (qui, parfois, laissent pourtant bien à désirer). Pour moi, c'est surtout un moyen de croiser mes alter-égos des autres filiales et de socialiser un peu. Pour Patricia, ma collègue, c'est la meilleure façon d'essayer de se faire mousser dans une sorte de pince-fesses professionnel et, surtout, de lécher de nouvelles bottes. Pour Grégoire, le chargé de RH d'une autre filiale financière du groupe, c'est avant tout une surabondance d'alcool et de petits-fours hors de prix.

« - Ha, commença-t-il en tapotant l'épaule de Patricia, qu'il est bon de travailler dans un groupe qui sait mettre les petits plats dans les grands. Vous avez gouté ces petits trucs au saumon ? C'est pas dégueu...
- À t'écouter, répondit Patricia en se dégageant l'épaule, on pourrait croire que tu n'acceptes de venir que pour manger et boire.
- Parce que toi tu viens pour la conférence peut-être ? Attends, pendant tout le discours de Bettina, tu n'as pas arrêté de glousser à coté d'Henry Gettisburg, d'ailleurs, ton petit jeu n'est pas très subtile. Et toi, Westmacott, pourquoi tu viens dans ce genre de meeting ?
- Pour avoir la joie de revoir tes beaux yeux.
- Je sais que c'est dur à entendre mais tu dois m'oublier W, t'es pas mon genre ! fit-il avant de finir, cul sec, son verre de vin rouge. Oh, je t'ai pas raconter la dernière ? J'étais dans l'ascenseur avec une candidate...
- Attends, je la connais cette histoire, la candidate était jolie et l'ascenseur s'est arrêté ?
- Non, laisse-moi finir, la candidate avait l'air plutôt timide, enfin je le croyais, mais alors que je tentais désespérément de la faire parler un peu, voilà-t-y pas que je la surprends en train de me fixer la braguette. Je vous jure ! Elle n'arrivait pas à détacher ses yeux de ma putain de braguette ! J'ai fais claquer ma langue, elle a relevé la tête, rouge de honte. Je vous raconte pas l'entretien qui a suivi, c'était pas des plus détendus comme atmosphère.
- Prise sur le fait !
- Quelle gourde, jugea Patricia, j'espère que tu ne l'as pas embauchée... Moi, j'ai horreur de prendre l'ascenseur avec mes candidats. La plupart du temps, je laisse les hôtesses d'accueil les faire monter et je les récupère devant les ascenseurs, à l'étage.
- Moi non plus je ne sais jamais quoi leur dire. Tout ce que j'arrive à bredouiller c'est « vous avez trouvé facilement ? ». Les plus bavards m'expliquent tout leur parcours de A à Z, les moins loquaces marmonnent un « oui ».
- Et pourtant, fit Grégoire en appelant d'un geste résumant toute sa délicatesse légendaire un des serveurs munis d'une bouteille de vin, c'est un moment privilégié, presque un moment unique.
- Que veux-tu dire ?
- Dans l'ascenseur, l'entretien d'embauche n'a pas encore commencé : on peut parler du trajet, de la pluie et du beau temps, du programme télé... le candidat, s'il n'est pas trop intimidé, n'a pas conscience qu'il est déjà en présence du recruteur, l'ascenseur, c'est un endroit neutre à ses yeux. Et c'est le moment idéal de picorer des informations par-ci par-là.
- Quel genre d'information tu peux bien récolter ?
- Haha, ça dépend de mes questions. En ce moment, avec le mondial, c'est presque trop facile. Si mon candidat est un homme, je demande presque toujours ce qu'il a pensé du match de la veille.
- Tu déconnes ?
- Non, s'il me répond : « Je n'ai par regardé, je n'aime pas le foot », alors j'en déduis que mon candidat est soit snob, soit pédé.
- Ô mon Dieu...
- S'il répond : « je n'ai pas pu regarder », ça veut dire que c'est bobonne qui régente la télécommande et que c'est un castré. S'il me répond qu'il a suivi tous les matchs et qu'il poursuit sur ce sujet pendant tout le reste du chemin, c'est que c'est un beauf.
- Je vais faire semblant de ne pas avoir entendu ce que tu viens de dire.
- Pourquoi ?
- En gros, avec ta question débile sur le foot, tu peux dire si un mec est gay, castré, snob ou beauf.
- En gros, oui.
- Et, en imaginant que ton petit test soit infaillible, ce que je suis loin de croire, qu'est-ce que ça t'apporte de savoir ça ?
- Plein de choses ! S'il vient pour un poste en relation directe avec le PDG, je vais éviter de choisir un beauf, s'il vient pour bosser avec une nana comme Patoche ici présente, un castré sera parfait !
- Très drôle Grégoire, fit cette dernière de son ton le plus glacial.
- Au fait, W, tu as regardé le match hier ?
- Pas besoin de lui poser la question, répondit-elle à ma place, il entre dans les quatre catégories à la fois. »
Patricia nous laissa sur ces dernières paroles et se dirigea avec son plus beau sourire vers le DRH d'une grosse filiale slovène. Elle avait probablement perdu assez de temps avec nous, éléments négligeables de sa nébuleuse carriériste.
« - Quelle pétasse ! Je ne sais pas comment tu fais pour bosser avec elle.
- Moi, je ne sais pas comment t'as fait pour la sauter.
- Tu ne peux pas savoir, puisque tu rentres dans les quatre catégories. »

Que dire du petit échange informel que vous pouvez avoir avec un recruteur dans un ascenseur ? Comme à son habitude, Grégoire a exprimé avec les mots les plus crus qui soient une vérité bien connue des RH : les petites discussions d'ascenseur peuvent avoir leur importance.

Je me souviens par exemple d'une candidate qui, à ma sempiternelle question « vous avez trouvé facilement ? », a réussi à me parler de son fils de dix-sept ans qui passe ses journées sur ordinateur et qui, après s'être fait longuement désiré, a fini par lui télécharger son itinéraire sur le site de la RATP. Elle a enchaîné sur le SDF qui faisait la quête dans le métro et qui avait une si jolie voix, puis sur ses péripéties piétonnes pour arriver jusqu'à notre immeuble (j'ai appris par la même occasion combien notre trottoir était sali par les mégots de cigarette et les crottes de chien). Dix minutes plus tard, alors que nous étions installés dans mon bureau et qu'elle avait enfin fini son histoire, elle s'est mise à me vanter ses qualités de synthèse et d'à-propos, j'avoue avoir eu quelques doutes à ce moment-là.

Je pense qu'on ne fait jamais assez attention à ce qu'on dit lors de ces petits laps de temps informels. Le but du jeu n'est pas de rester muet comme une carpe, au contraire, mais de pouvoir faire preuve de qualités sociales sans pour autant s'épancher trop.

Pour les recruteurs qui me lisent, une astuce : dans l'ascenseur, mettez votre candidat le plus à l'aise possible. Parlez de tout et de rien, abordez le plus de sujets possibles, plaisantez et n'hésitez pas à lancer des discussions aussi passionnantes que l'histoire de l'immeuble ou des anecdotes sur la vie de votre entreprise. L'objectif n'est pas de récolter des informations comme le fait Grégoire, mais au contraire, de mettre le candidat dans les meilleurs conditions possible, il faut qu'il vous fasse confiance. S'il vous voit comme une personne sympathique et ouverte à la conversation, il se montrera loquace durant l'entretien, il évitera d'en faire des tonnes et sera même plus honnête. Dites-vous que dans l'ascenseur, vous poser les bases d'un échange égalitaire et constructif.

Si Grégoire lit ces lignes, il doit bien se marrer.