entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

mercredi 6 juillet 2011

Petites discussions d'ascenseur

Les colloques RH organisés par le groupe anglais auquel ma petite banque appartient sont d'un ennui mortel. Il s'agit de réunion de gros pontes des Ressources Humaines venus pour se féliciter les uns les autres de leurs actions et de leurs méthodes (qui, parfois, laissent pourtant bien à désirer). Pour moi, c'est surtout un moyen de croiser mes alter-égos des autres filiales et de socialiser un peu. Pour Patricia, ma collègue, c'est la meilleure façon d'essayer de se faire mousser dans une sorte de pince-fesses professionnel et, surtout, de lécher de nouvelles bottes. Pour Grégoire, le chargé de RH d'une autre filiale financière du groupe, c'est avant tout une surabondance d'alcool et de petits-fours hors de prix.

« - Ha, commença-t-il en tapotant l'épaule de Patricia, qu'il est bon de travailler dans un groupe qui sait mettre les petits plats dans les grands. Vous avez gouté ces petits trucs au saumon ? C'est pas dégueu...
- À t'écouter, répondit Patricia en se dégageant l'épaule, on pourrait croire que tu n'acceptes de venir que pour manger et boire.
- Parce que toi tu viens pour la conférence peut-être ? Attends, pendant tout le discours de Bettina, tu n'as pas arrêté de glousser à coté d'Henry Gettisburg, d'ailleurs, ton petit jeu n'est pas très subtile. Et toi, Westmacott, pourquoi tu viens dans ce genre de meeting ?
- Pour avoir la joie de revoir tes beaux yeux.
- Je sais que c'est dur à entendre mais tu dois m'oublier W, t'es pas mon genre ! fit-il avant de finir, cul sec, son verre de vin rouge. Oh, je t'ai pas raconter la dernière ? J'étais dans l'ascenseur avec une candidate...
- Attends, je la connais cette histoire, la candidate était jolie et l'ascenseur s'est arrêté ?
- Non, laisse-moi finir, la candidate avait l'air plutôt timide, enfin je le croyais, mais alors que je tentais désespérément de la faire parler un peu, voilà-t-y pas que je la surprends en train de me fixer la braguette. Je vous jure ! Elle n'arrivait pas à détacher ses yeux de ma putain de braguette ! J'ai fais claquer ma langue, elle a relevé la tête, rouge de honte. Je vous raconte pas l'entretien qui a suivi, c'était pas des plus détendus comme atmosphère.
- Prise sur le fait !
- Quelle gourde, jugea Patricia, j'espère que tu ne l'as pas embauchée... Moi, j'ai horreur de prendre l'ascenseur avec mes candidats. La plupart du temps, je laisse les hôtesses d'accueil les faire monter et je les récupère devant les ascenseurs, à l'étage.
- Moi non plus je ne sais jamais quoi leur dire. Tout ce que j'arrive à bredouiller c'est « vous avez trouvé facilement ? ». Les plus bavards m'expliquent tout leur parcours de A à Z, les moins loquaces marmonnent un « oui ».
- Et pourtant, fit Grégoire en appelant d'un geste résumant toute sa délicatesse légendaire un des serveurs munis d'une bouteille de vin, c'est un moment privilégié, presque un moment unique.
- Que veux-tu dire ?
- Dans l'ascenseur, l'entretien d'embauche n'a pas encore commencé : on peut parler du trajet, de la pluie et du beau temps, du programme télé... le candidat, s'il n'est pas trop intimidé, n'a pas conscience qu'il est déjà en présence du recruteur, l'ascenseur, c'est un endroit neutre à ses yeux. Et c'est le moment idéal de picorer des informations par-ci par-là.
- Quel genre d'information tu peux bien récolter ?
- Haha, ça dépend de mes questions. En ce moment, avec le mondial, c'est presque trop facile. Si mon candidat est un homme, je demande presque toujours ce qu'il a pensé du match de la veille.
- Tu déconnes ?
- Non, s'il me répond : « Je n'ai par regardé, je n'aime pas le foot », alors j'en déduis que mon candidat est soit snob, soit pédé.
- Ô mon Dieu...
- S'il répond : « je n'ai pas pu regarder », ça veut dire que c'est bobonne qui régente la télécommande et que c'est un castré. S'il me répond qu'il a suivi tous les matchs et qu'il poursuit sur ce sujet pendant tout le reste du chemin, c'est que c'est un beauf.
- Je vais faire semblant de ne pas avoir entendu ce que tu viens de dire.
- Pourquoi ?
- En gros, avec ta question débile sur le foot, tu peux dire si un mec est gay, castré, snob ou beauf.
- En gros, oui.
- Et, en imaginant que ton petit test soit infaillible, ce que je suis loin de croire, qu'est-ce que ça t'apporte de savoir ça ?
- Plein de choses ! S'il vient pour un poste en relation directe avec le PDG, je vais éviter de choisir un beauf, s'il vient pour bosser avec une nana comme Patoche ici présente, un castré sera parfait !
- Très drôle Grégoire, fit cette dernière de son ton le plus glacial.
- Au fait, W, tu as regardé le match hier ?
- Pas besoin de lui poser la question, répondit-elle à ma place, il entre dans les quatre catégories à la fois. »
Patricia nous laissa sur ces dernières paroles et se dirigea avec son plus beau sourire vers le DRH d'une grosse filiale slovène. Elle avait probablement perdu assez de temps avec nous, éléments négligeables de sa nébuleuse carriériste.
« - Quelle pétasse ! Je ne sais pas comment tu fais pour bosser avec elle.
- Moi, je ne sais pas comment t'as fait pour la sauter.
- Tu ne peux pas savoir, puisque tu rentres dans les quatre catégories. »

Que dire du petit échange informel que vous pouvez avoir avec un recruteur dans un ascenseur ? Comme à son habitude, Grégoire a exprimé avec les mots les plus crus qui soient une vérité bien connue des RH : les petites discussions d'ascenseur peuvent avoir leur importance.

Je me souviens par exemple d'une candidate qui, à ma sempiternelle question « vous avez trouvé facilement ? », a réussi à me parler de son fils de dix-sept ans qui passe ses journées sur ordinateur et qui, après s'être fait longuement désiré, a fini par lui télécharger son itinéraire sur le site de la RATP. Elle a enchaîné sur le SDF qui faisait la quête dans le métro et qui avait une si jolie voix, puis sur ses péripéties piétonnes pour arriver jusqu'à notre immeuble (j'ai appris par la même occasion combien notre trottoir était sali par les mégots de cigarette et les crottes de chien). Dix minutes plus tard, alors que nous étions installés dans mon bureau et qu'elle avait enfin fini son histoire, elle s'est mise à me vanter ses qualités de synthèse et d'à-propos, j'avoue avoir eu quelques doutes à ce moment-là.

Je pense qu'on ne fait jamais assez attention à ce qu'on dit lors de ces petits laps de temps informels. Le but du jeu n'est pas de rester muet comme une carpe, au contraire, mais de pouvoir faire preuve de qualités sociales sans pour autant s'épancher trop.

Pour les recruteurs qui me lisent, une astuce : dans l'ascenseur, mettez votre candidat le plus à l'aise possible. Parlez de tout et de rien, abordez le plus de sujets possibles, plaisantez et n'hésitez pas à lancer des discussions aussi passionnantes que l'histoire de l'immeuble ou des anecdotes sur la vie de votre entreprise. L'objectif n'est pas de récolter des informations comme le fait Grégoire, mais au contraire, de mettre le candidat dans les meilleurs conditions possible, il faut qu'il vous fasse confiance. S'il vous voit comme une personne sympathique et ouverte à la conversation, il se montrera loquace durant l'entretien, il évitera d'en faire des tonnes et sera même plus honnête. Dites-vous que dans l'ascenseur, vous poser les bases d'un échange égalitaire et constructif.

Si Grégoire lit ces lignes, il doit bien se marrer.

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