entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

samedi 19 novembre 2011

Combien de temps peut-on supporter le lèche-cul de service ?

Un lundi matin, en arrivant au travail, j’ai eu la grande surprise de découvrir Patricia assise derrière son ordinateur, l’air trop affairée pour pouvoir répondre à ma salutation incrédule. Elle qui n’avait jamais daigné présenter sa tronche enfarinée avant 10 heures du matin (et encore, de mauvaise grâce), sa présence aux aurores (9h) avait de quoi m’estomaquer.

Puis, au grand étonnement général, quand mon supérieur s'est pointé à son tour dans notre open space, la moue dédaigneuse de Patricia s'est transformée en un sourire avenant… A cette vision dantesque, un frisson irrépressible me parcourut l’échine. Notre manager était venu nous solliciter sur une problématique légale quelconque, nous lui répondons docilement et, sautant du coq à l’âne, Patricia nous fait habilement comprendre qu’elle est à son poste depuis au moins 7h30 – cette fois, plus de doute, elle prépare un mauvais coup ! Vu l’air ahuri de notre responsable, je me rends compte qu’il partage mes craintes et mes doutes.

Le reste de la semaine fut du même acabit : je partageais mon bureau avec une Patricia tout sourire et impliquée à 200%, annonçant à qui voulait l'entendre qu'elle était la pierre angulaire de toute l'entreprise.
Passée la surprise des premiers jours, le léchage de botte mielleux et consensuel de Patricia commença rapidement à me courir sur les haricots. J’en ai vite eu marre d’entendre répéter à toutes les personnes entrant dans le bureau que Mademoiselle était débordée, que le département des RH reposait presque uniquement sur elle et qu’après tout, elle était là depuis 7h30 ! Mais pour une fois qu’elle faisait sa part de travail, je n’allais quand même pas me plaindre ouvertement…

Afin d'expliquer ce changement radical chez ma collègue, plusieurs hypothèses s’ouvraient alors à moi :
  • La drogue
  • Une soudaine poussée de travaillite aïgue imputable à une toute aussi soudaine prise de conscience professionnelle ou à un dérèglement hormonal
  • La prise de possession de son corps par des extraterrestres libéraux
  • Un épanouissement libérateur dû à des parties de jambes en l’air particulièrement intenses.

A bien y réfléchir, ce soudain changement d'attitude et la parade laborieuse de Patricia ne me laissait présager qu’une seule et unique explication : elle avait besoin de quelque chose.
La vérité ne tarda pas à éclater au grand jour, elle avait entendu parler avant tout le monde de la démission prochaine d’un Responsable RH d’une des entités de notre groupe. Elle convoitait son poste et s’imaginait que quelques semaines de léchage de fesses intensives suffiraient à racheter des années de mauvais esprit.

Côtoyer une version extrême fayotte de Patricia m’a permis d’apprendre quelque chose sur moi-même : j’ai une endurance au lècheculisme de deux jours en moyenne. Passé ces deux jours, une folle envie d’emplafonner le fayot servile me brûle les doigts.

Quand je fis part des mes conclusions empiriques à mes camarades de bar, je découvris que chez eux, cette endurance pouvait être tout aussi courte qu’illimitée. La patience face à un lécheux comme diraient nos amis Québécois, est propre à chacun, probablement inscrite dans nos gênes et alimentée par notre éducation :
« - Je ne tiens même pas vingt minutes, répondit Béatrice. Je crois que j’ai quitté plus de la moitié de mes jobs à cause des lèche-culs qui m’entouraient.
- Moi, intervint Karim, je suis manager, alors c’est mon cul qu’on lèche.
- Et alors ? T’as eu le droit à quoi ?
- J’ai de la chance, j’ai le Roi des fayots dans mon équipe. Il organise des petits déjeuners gargantuesques pour mon anniversaire, toujours avec un cadeau personnalisé d’au moins 30 euros et il balance sur tous ses collègues dès qu’il a l’occasion d’être seul avec moi.
- Et ?
- Au début, je pensais qu’il suffisait de faire abstraction mais en fait, au bout d’un mois, j’ai eu envie de lui claquer le beignet. Quelqu’un de trop mielleux peut vite devenir insupportable. Enfin, il s’est calmé quand je l’ai descendu en entretien annuel, lécher c’est bien, faire ses objectifs, c’est mieux !
- Louise ? Tu travailles avec des fayots toi ?
- Dans les grosses boites comme la mienne, répondit-elle, il y en a plus que de raison, des planqués, des fayots, des langues de bois… Je me demande même si on ne devrait pas parler d’écosystème à ce stade-là.
- Tu les supportes combien de temps ? demandais-je.
- Oh moi, je m’en fous. Il y en a pour qui le léchage de pompes fonctionne, dans un sens, tant mieux pour eux. Mais je me dis que la poudre aux yeux ne dure qu’un temps et que l’incompétence ne reste jamais très longtemps cachée par tout ce tralala.
- Et toi Quentin ?
- Ben étant donné que je travaille dans le porno, les ¾ de mes collègues passent leur journée à lécher des culs, littéralement bien entendu. » Un geignement collégial se fit entendre tant nous étions frappés par l’image mentale qui se présentait à nous. « Par contre les lèche-bottes, c’est plutôt dans les films SM qu’on peut les trouver.
- Arrête, fit Béatrice, on a tous compris où tu voulais en venir… »

Pour résumer :
- Louise, la consensuelle, peut les supporter sans broncher,
- Béatrice, l’impulsive, en est allergique, elle ressent à leur égard une aversion quasi-épidermique,
- Karim, le courtisé, peut tenir un mois entier tout en restant de marbre,
- Moi, le RH, je tiens à peine deux jours.

Maître Renard avait-il raison en narguant Maître Corbeau : « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute» ? En fait, la manœuvre séductrice de Patricia aurait presque pu fonctionner si notre manager n’avait pas convoité exactement le même poste, gloups !
Ce dernier ne s’est pas gêné pour la descendre auprès des recruteurs de l’autre entité, réduisant sa candidature à néant et grillant par là même ses propres chances d’accéder à ce poste : en effet, qui voudrait d’un manager qui pourrit autant ses équipes et comment savoir quelle est sa part de responsabilité dans l’incompétence de ses collaborateurs ?

En fin de comptes, le piaf et le renard se sont retrouvés le bec dans l’eau.

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