entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

mercredi 29 février 2012

Les niches organisationnelles et le syndrôme du "service chameau"

Karim a la chance de travailler dans une entreprise en plein essor, jeune et dynamique : une entreprise de télé-marketing. L'un des principaux avantages à travailler dans une structure en plein développement, c'est que tout est à construire, l'un des principaux inconvénients, c'est que les ¾ de ce qui est construit est bancal comme pas permis.

Dans l'entreprise de Karim, si l'ensemble peut paraître cohérent et réfléchi au premier abord, on se rend vite compte que toute l'organisation est gangrénée par une multitude d'exceptions et niches, de petits espaces de liberté totale, véritables no-man's land créés à un moment donné afin de répondre à un besoin précis ou résoudre un problème à très court terme. Le hic, c'est qu'une fois la situation résolue, la niche est restée et est devenue pérenne, mettant à l'abri ceux qui ont réussi à s'y engouffrer.

Parmi ses niches en existe une que Karim à appelée le syndrôme du "service chameau", le "service chameau" étant un service à deux boss (à l'inverse du "service dromadaire" qui, on le suppose, n'aurait qu'un seul boss).

Pour en comprendre les origines, il faut rappeler que l'entreprise de Karim, comme beaucoup de structure, vit au fil de rachats, de fusions et de réorganisations internes mensuelles. Dans un tel chaos permanent, il devient donc très difficile pour les têtes pensantes de ne pas considérer les collaborateurs comme des pions que l'on déplace à sa guise, au fil des problématiques courantes. Ce fut le cas pour M. Martin : Ne sachant pas quoi faire de M. Martin lors de la précédente réorganisation, les directeurs n'ont rien trouvé de mieux que de le positionner en tant qu'adjoint auprès d'un Responsable qui n'en avait pas vraiment besoin. Karim s'est donc retrouvé avec un adjoint à ses côtés, sympathique au demeurant, mais qui ne devait son poste et son salaire qu'au manque de place dans d'autre secteur de l'entreprise. Tout le service a dû se réorganiser pour intégrer cet échelon supplémentaire, l'organisation créant ainsi du travail là il n'était pas forcément nécessaire. Qu'à cela ne tienne, il y a des situations auxquelles on ne peut rien faire que subir.
Mais le système a pu montrer par la suite son visage foncièrement perverti : quand l'Adjoint a donné sa démission, les têtes pensantes n'ont rien trouvé de mieux que d'imaginer que son poste était absolument nécessaire et qu'il fallait donc le remplacer. Karim a beau leur avoir expliquer par A+B que le remplacement de M. Martin était complètement inutile, le mal était fait ; le poste et la niche qu'il représente sont donc devenus pérennes par la force des choses, cqfd.

lundi 6 février 2012

Du galon mon cochon !

Le début d’année est un moment propice pour les promotions et autres signes extérieures de reconnaissance : augmentation (du flouze !), changement de statut (je deviens cadre ! Chouette mes cotisations augmentent !), formation ou séminaire (de la glandouille avec du pinard à volonté pendant deux jours !), changement d’intitulé de poste (je me distingue de la masse), nouvelles responsabilités (beuh L, du boulot en plus)…

Les moyens dont dispose une entreprise pour reconnaître les mérites d’un employé modèle sont nombreux et variés mais ils ne sont efficaces qu’à une seule et unique condition : que le principal intéressé aie bien compris le message sous-jacent et l’immense honneur qui lui a été fait. Le message passe donc mieux avec les répliques suivantes :
-         « Je me suis battu pour que tu obtiennes ceci »
-         « Toute la direction a estimé juste que cela te soit accordé »
-         « C’est passé de justesse mais je suis heureux de pouvoir t’annoncer que… »
-         « C’est un moyen pour nous de reconnaître ton potentiel au sein de l’équipe »

Et du coup, les principaux intéressés qui ont bien intégré le message (il y en a qui sont toujours un peu plus longs que les autres à la comprenette) se sentent pousser des ailes puisque, ne l’oublions pas, on vient de leur faire comprendre qu’il font désormais partie de la crème de la crème, le top du top, le gotha de l’entreprise.

Et quoi de plus agréable que d’avoir à supporter la morgue méprisante et le sourire en coin de ceux dont on a reconnu le talent au plus haut niveau, de ceux qui, portés par la gloire, ne peuvent que se sentir supérieurs aux péons vulgaires, à la masse grouillante et puante, aux autres mecs du bureau quoi !

C’est un bonheur sans nom, un bonheur encore plus appréciable quand on sait que cette promotion est probablement due à l’ancienneté, au hasard, à des négociations syndicales acharnées ou encore à une exécution pleutre de versets absconses et bureaucratiques d’une convention collective. Je sais de quoi je parle, dans mon long parcours de RH, j’ai vu plus d’une fois un mec gagner du galon, de l’argent ou un statut qu’il ne méritait pas vraiment, il avait juste eu la chance d’être là, au bon moment.
Dernier exemple en date : les accords d’égalité Hommes / Femmes. Ils sont tout à fait honorables sur le papier, mais quand on sait qu’une collaboratrice aux compétences moyennes par rapport aux autres a obtenu le statut de Cadre uniquement dans le but de rééquilibrer le ratio de représentants des deux sexes aux postes de cadre, il y a de quoi se poser des questions sur les fondements de cette manœuvre.

Bon, n’allez pas imaginer que ces quelques lignes soit l’expression d’une quelconque aigreur ou jalousie de ma part, bien au contraire ! Je serais le premier ravi de voir mes collègues feignants et incapables gagner en salaire ou en responsabilité (bon, j’avoue, je maîtrise moins bien l’ironie que le sarcasme). C’est juste qu’en tant qu’observateur externe à un service, j’ai pu observer cette autosuffisance insupportable et injustifiée à de trop nombreuses reprises. La collaboratrice en question, enorgueillie de son tout nouveau statut, s’est mise à considérer certaines taches trop peu valorisantes pour un Cadre et s’est donc permise de les déléguer à ses pairs non cadres. Elle a carrément imposé une frontière virtuelle à ses collègues, quitte à attiser cette colère aux yeux verts qu’est la jalousie. Bref, elle a foutu le feu au service et s’est fâchée avec tout le monde.

Et que peuvent faire ses collègues pour lui rabattre son caquet ? Ben, pas grand chose…