entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

jeudi 22 décembre 2011

Comment demander une augmentation de fin d'année ?


Cest dur à admettre, mais ce sera peut-être plus réaliste de la demander au Père Noël qu'à votre manager cette année...

vendredi 16 décembre 2011

L'armée de Flambys mexicains

Un soir, alors que nous médisions sur nos entreprises respectives devant une pinte de bière bon marché, Béatrice qui a connu tant d'environnements professionnels s'est mise à développer une théorie des plus intéressantes sur la dynamique des organisations françaises. Selon elle, la compétitivité de nos entreprises serait sérieusement mise à mal par un goût immodéré pour des strates hiérarchiques nombreuses et molles, une sorte d'armée mexicaine majoritairement constituée de Flambys en chef.

« - L'armée mexicaine ? Trop de petits chefs ? C'est ça selon toi qui gangrène les entreprises françaises ? Ce n'est pas très original comme théorie, fis-je remarquer.
- Pas seulement « trop de chefs », insista-t-elle, mais des rangées de chefs mous comme des flans, apathiques et flasques, effrayés à l'idée de prendre une décision qui ne soit pas validée par tous les autres flans de la boite ou, mieux encore, par le FDG, le Flamby Directeur Général.
- Je ne comprends pas très bien, fit Karim.
- Par exemple, tu nous parlais tout à l'heure de ce client qui vous a appelé la semaine dernière avec une question inhabituelle. Concrètement, qu'avez-vous fait ? Le télé-conseiller t'as fait remonter sa question, tu as envoyé un mail à ton chef, qui l'a fait remonter au sien, qui a carrément réuni un comité express de directeurs pour réfléchir à la réponse que vous deviez apporter. Résultat des courses ? Le client a attendu une semaine pour une réponse que ton télé-conseiller aurait pu trouver tout seul. Mais plutôt que prendre le risque de faire une erreur et d'en prendre la responsabilité, toute la ligne managériale s'est protégée derrière une organisation lourde et lente mais merveilleusement dotée d'un système de responsabilisation diluée.
- Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix... tenta-t-il de se défendre.
- Je ne te jette pas la pierre Karim. Au contraire, je pense qu'en effet, dans ce genre d'organisation, toute personne qui tenterait d'entraver cette politique du Flamby mexicain serait immédiatement et exemplairement sanctionné. Les grandes gueules ou même ceux qui expriment juste ouvertement leur opinion sont vite remis à leur place.
- Le « Flamby » mexicain est donc un manager faible ou affaibli, conclut Quentin.
- Pas seulement ! L'organisation en armée mexicaine de Flamby est aussi caractérisée par un manque de confiance totale entre les différents strates de flans : personne ne fait réellement confiance à l'autre et il faut que tous les échanges puissent être tracés. Tout se passe donc par mail afin que l'on puisse facilement retracer toute source d'erreur et nommer un coupable.
- Une sorte de bureaucratie managériale ? tenta Louise.
- Exact ! Autre caractéristique, l'hypocrisie ambiante : personne ne dit ce qu'il pense réellement, on respecte bien trop la ligne hiérarchique pour ça. La décision finale prise est complètement conne ? Tant pis ! On la suivra à la lettre plutôt que d'avoir à chatouiller la susceptibilité de ses pairs ou de ses chefs. Irrémédiablement, le Flamby démoulé aura toujours la forme de son pot.
- Un chef pleutre, mou et conformiste, un Flamby en tout point.
- Et ce n'est pas tout ! Il nous reste l'onctuosité du Flamby mexicain. Ce dernier est dégoulinant de bienséance, de caramel léchebottisque et écœurant. Et pas seulement envers ses chefs mais aussi envers ses homologues et ses collaborateurs. Une fois encore, celui qui n'a pas la langue dans sa poche ou qui ne serait pas recouvert de ce caramel visqueux sera vite mis à l'écart.
- Ca aussi ça me rappelle un de mes films, intervint Quentin.
- Quoi ? Le caramel qui dégouline ?
- Pas mon meilleur souvenir de tournage, j'ai mis plus de deux jours à retirer le caramel collé aux poils »

En soit, la théorie de l'armée de Flambys mexicains de Béatrice est plutôt innovante et il est assez amusant de voir jusqu'à quel point la comparaison avec le flan industriel que nous avons tous gobé étant petit peut tenir la route.

De plus, son inquiétude est loin d'être infondée : certaines de nos structures et institutions sont en partie paralysées par une culture managériale frileuse, faiblarde et atone mais qui, dans le même temps, reste présente et fort soucieuse de voir ses statuts et privilèges respectés en tout point. Malgré leur inefficacité, leur peu de valeur ajoutée ou même le poids mort qu'elles représentent, il est difficile de passer outre les différentes strates de Flambys mexicains qui composent une pyramide organisationnelle (pyramide maya, cela va de soit).

J'en ai encore eu l'exemple probant cette semaine. Un des directeurs des plus hauts placés de mon entreprise m'a demandé de recruter rapidement un intérimaire pour l'une de ses équipes. En soit, je n'ai pas vraiment mon mot à dire. Mais avant même de commencer à rechercher un candidat, il me fallait être sûr que cette demande ai été acceptée par toute la ligne hiérarchique habituelle : sur un formulaire de demande de recrutement, il peut apparaître jusqu'à 5 signatures différentes. Malheureusement pour ce directeur, il lui manquait une de ces incontournables signatures. Quand je lui ai demandé s'il disposait au moins d'un mail ou d'un écris pouvant attester de l'accord du signataire manquant, il m'a répondu :
« - Ma parole vaut or, monsieur Westmacott.
- Je suis désolé monsieur Martin, mais sans cet accord, je n'ai pas le droit de recruter pour qui que ce soit. Ne pouvez-vous pas juste envoyer un mail à Monsieur Leroy pour lui demander ...
- Mais qu'est-ce que vous croyez ? Que je vais aller embêter M. Leroy avec ça ? Savez-vous que je ne lui demande pas l'autorisation avant d'aller aux toilettes ? Si je vous dis que j'ai besoin de cet intérimaire et que vous pouvez le recruter sans être inquiété, c'est que j'ai mes raisons de croire que cet accord n'est pas indispensable. »
Après m'être fait raccrocher au nez, j'ai fait ce que tout bon Flamby mexicain aurait fait à ma place, j'ai écrit un mail à mon responsable qui l'a transmis à notre DRH qui a écrit à ce Directeur qui a fini par écrire sa demande par mail au signataire manquant qui lui a finalement répondu un laconique « ok, Cdt, M. Leroy » (l'historique des e-mails rend très amusant le traçage du cheminement d'une décision).
Avec le dernier accord en boite mail, j'ai pu recruter un intérimaire et tout le monde était content car, fort heureusement, nous n'avions perdu qu'une seule journée dans tout ce processus mexico-flambiesque.

Avec le recul, une chose cependant m'inquiète quelque peu : j'ai ressenti une certaine jouissance quand j'ai vu le mail du Directeur me revenir par ligne hiérarchique interposée. J'avais raison et ce Directeur, pourtant bien plus haut placé dans la hiérarchie des Flambys, avait dû se plier à ma demande initiale. Si ce sentiment de réussite m'habite quand je n'arrive en fin de compte qu'à faire reculer l'inévitable (au final, l'intérimaire sera bel et bien recruté), c'est que je suis peut-être en train de devenir moi aussi, un membre émérite de l'armée de Flambys mexicains.