entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

jeudi 22 décembre 2011

Comment demander une augmentation de fin d'année ?


Cest dur à admettre, mais ce sera peut-être plus réaliste de la demander au Père Noël qu'à votre manager cette année...

vendredi 16 décembre 2011

L'armée de Flambys mexicains

Un soir, alors que nous médisions sur nos entreprises respectives devant une pinte de bière bon marché, Béatrice qui a connu tant d'environnements professionnels s'est mise à développer une théorie des plus intéressantes sur la dynamique des organisations françaises. Selon elle, la compétitivité de nos entreprises serait sérieusement mise à mal par un goût immodéré pour des strates hiérarchiques nombreuses et molles, une sorte d'armée mexicaine majoritairement constituée de Flambys en chef.

« - L'armée mexicaine ? Trop de petits chefs ? C'est ça selon toi qui gangrène les entreprises françaises ? Ce n'est pas très original comme théorie, fis-je remarquer.
- Pas seulement « trop de chefs », insista-t-elle, mais des rangées de chefs mous comme des flans, apathiques et flasques, effrayés à l'idée de prendre une décision qui ne soit pas validée par tous les autres flans de la boite ou, mieux encore, par le FDG, le Flamby Directeur Général.
- Je ne comprends pas très bien, fit Karim.
- Par exemple, tu nous parlais tout à l'heure de ce client qui vous a appelé la semaine dernière avec une question inhabituelle. Concrètement, qu'avez-vous fait ? Le télé-conseiller t'as fait remonter sa question, tu as envoyé un mail à ton chef, qui l'a fait remonter au sien, qui a carrément réuni un comité express de directeurs pour réfléchir à la réponse que vous deviez apporter. Résultat des courses ? Le client a attendu une semaine pour une réponse que ton télé-conseiller aurait pu trouver tout seul. Mais plutôt que prendre le risque de faire une erreur et d'en prendre la responsabilité, toute la ligne managériale s'est protégée derrière une organisation lourde et lente mais merveilleusement dotée d'un système de responsabilisation diluée.
- Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix... tenta-t-il de se défendre.
- Je ne te jette pas la pierre Karim. Au contraire, je pense qu'en effet, dans ce genre d'organisation, toute personne qui tenterait d'entraver cette politique du Flamby mexicain serait immédiatement et exemplairement sanctionné. Les grandes gueules ou même ceux qui expriment juste ouvertement leur opinion sont vite remis à leur place.
- Le « Flamby » mexicain est donc un manager faible ou affaibli, conclut Quentin.
- Pas seulement ! L'organisation en armée mexicaine de Flamby est aussi caractérisée par un manque de confiance totale entre les différents strates de flans : personne ne fait réellement confiance à l'autre et il faut que tous les échanges puissent être tracés. Tout se passe donc par mail afin que l'on puisse facilement retracer toute source d'erreur et nommer un coupable.
- Une sorte de bureaucratie managériale ? tenta Louise.
- Exact ! Autre caractéristique, l'hypocrisie ambiante : personne ne dit ce qu'il pense réellement, on respecte bien trop la ligne hiérarchique pour ça. La décision finale prise est complètement conne ? Tant pis ! On la suivra à la lettre plutôt que d'avoir à chatouiller la susceptibilité de ses pairs ou de ses chefs. Irrémédiablement, le Flamby démoulé aura toujours la forme de son pot.
- Un chef pleutre, mou et conformiste, un Flamby en tout point.
- Et ce n'est pas tout ! Il nous reste l'onctuosité du Flamby mexicain. Ce dernier est dégoulinant de bienséance, de caramel léchebottisque et écœurant. Et pas seulement envers ses chefs mais aussi envers ses homologues et ses collaborateurs. Une fois encore, celui qui n'a pas la langue dans sa poche ou qui ne serait pas recouvert de ce caramel visqueux sera vite mis à l'écart.
- Ca aussi ça me rappelle un de mes films, intervint Quentin.
- Quoi ? Le caramel qui dégouline ?
- Pas mon meilleur souvenir de tournage, j'ai mis plus de deux jours à retirer le caramel collé aux poils »

En soit, la théorie de l'armée de Flambys mexicains de Béatrice est plutôt innovante et il est assez amusant de voir jusqu'à quel point la comparaison avec le flan industriel que nous avons tous gobé étant petit peut tenir la route.

De plus, son inquiétude est loin d'être infondée : certaines de nos structures et institutions sont en partie paralysées par une culture managériale frileuse, faiblarde et atone mais qui, dans le même temps, reste présente et fort soucieuse de voir ses statuts et privilèges respectés en tout point. Malgré leur inefficacité, leur peu de valeur ajoutée ou même le poids mort qu'elles représentent, il est difficile de passer outre les différentes strates de Flambys mexicains qui composent une pyramide organisationnelle (pyramide maya, cela va de soit).

J'en ai encore eu l'exemple probant cette semaine. Un des directeurs des plus hauts placés de mon entreprise m'a demandé de recruter rapidement un intérimaire pour l'une de ses équipes. En soit, je n'ai pas vraiment mon mot à dire. Mais avant même de commencer à rechercher un candidat, il me fallait être sûr que cette demande ai été acceptée par toute la ligne hiérarchique habituelle : sur un formulaire de demande de recrutement, il peut apparaître jusqu'à 5 signatures différentes. Malheureusement pour ce directeur, il lui manquait une de ces incontournables signatures. Quand je lui ai demandé s'il disposait au moins d'un mail ou d'un écris pouvant attester de l'accord du signataire manquant, il m'a répondu :
« - Ma parole vaut or, monsieur Westmacott.
- Je suis désolé monsieur Martin, mais sans cet accord, je n'ai pas le droit de recruter pour qui que ce soit. Ne pouvez-vous pas juste envoyer un mail à Monsieur Leroy pour lui demander ...
- Mais qu'est-ce que vous croyez ? Que je vais aller embêter M. Leroy avec ça ? Savez-vous que je ne lui demande pas l'autorisation avant d'aller aux toilettes ? Si je vous dis que j'ai besoin de cet intérimaire et que vous pouvez le recruter sans être inquiété, c'est que j'ai mes raisons de croire que cet accord n'est pas indispensable. »
Après m'être fait raccrocher au nez, j'ai fait ce que tout bon Flamby mexicain aurait fait à ma place, j'ai écrit un mail à mon responsable qui l'a transmis à notre DRH qui a écrit à ce Directeur qui a fini par écrire sa demande par mail au signataire manquant qui lui a finalement répondu un laconique « ok, Cdt, M. Leroy » (l'historique des e-mails rend très amusant le traçage du cheminement d'une décision).
Avec le dernier accord en boite mail, j'ai pu recruter un intérimaire et tout le monde était content car, fort heureusement, nous n'avions perdu qu'une seule journée dans tout ce processus mexico-flambiesque.

Avec le recul, une chose cependant m'inquiète quelque peu : j'ai ressenti une certaine jouissance quand j'ai vu le mail du Directeur me revenir par ligne hiérarchique interposée. J'avais raison et ce Directeur, pourtant bien plus haut placé dans la hiérarchie des Flambys, avait dû se plier à ma demande initiale. Si ce sentiment de réussite m'habite quand je n'arrive en fin de compte qu'à faire reculer l'inévitable (au final, l'intérimaire sera bel et bien recruté), c'est que je suis peut-être en train de devenir moi aussi, un membre émérite de l'armée de Flambys mexicains.

lundi 28 novembre 2011

Brèves de RH 4 - Les congés enfant malade

Entendu dans les couloirs :
"... faut que je me dépêche, il me reste encore 2 jours enfants malades à poser d'ici la fin de l'année..."

samedi 19 novembre 2011

Combien de temps peut-on supporter le lèche-cul de service ?

Un lundi matin, en arrivant au travail, j’ai eu la grande surprise de découvrir Patricia assise derrière son ordinateur, l’air trop affairée pour pouvoir répondre à ma salutation incrédule. Elle qui n’avait jamais daigné présenter sa tronche enfarinée avant 10 heures du matin (et encore, de mauvaise grâce), sa présence aux aurores (9h) avait de quoi m’estomaquer.

Puis, au grand étonnement général, quand mon supérieur s'est pointé à son tour dans notre open space, la moue dédaigneuse de Patricia s'est transformée en un sourire avenant… A cette vision dantesque, un frisson irrépressible me parcourut l’échine. Notre manager était venu nous solliciter sur une problématique légale quelconque, nous lui répondons docilement et, sautant du coq à l’âne, Patricia nous fait habilement comprendre qu’elle est à son poste depuis au moins 7h30 – cette fois, plus de doute, elle prépare un mauvais coup ! Vu l’air ahuri de notre responsable, je me rends compte qu’il partage mes craintes et mes doutes.

Le reste de la semaine fut du même acabit : je partageais mon bureau avec une Patricia tout sourire et impliquée à 200%, annonçant à qui voulait l'entendre qu'elle était la pierre angulaire de toute l'entreprise.
Passée la surprise des premiers jours, le léchage de botte mielleux et consensuel de Patricia commença rapidement à me courir sur les haricots. J’en ai vite eu marre d’entendre répéter à toutes les personnes entrant dans le bureau que Mademoiselle était débordée, que le département des RH reposait presque uniquement sur elle et qu’après tout, elle était là depuis 7h30 ! Mais pour une fois qu’elle faisait sa part de travail, je n’allais quand même pas me plaindre ouvertement…

Afin d'expliquer ce changement radical chez ma collègue, plusieurs hypothèses s’ouvraient alors à moi :
  • La drogue
  • Une soudaine poussée de travaillite aïgue imputable à une toute aussi soudaine prise de conscience professionnelle ou à un dérèglement hormonal
  • La prise de possession de son corps par des extraterrestres libéraux
  • Un épanouissement libérateur dû à des parties de jambes en l’air particulièrement intenses.

A bien y réfléchir, ce soudain changement d'attitude et la parade laborieuse de Patricia ne me laissait présager qu’une seule et unique explication : elle avait besoin de quelque chose.
La vérité ne tarda pas à éclater au grand jour, elle avait entendu parler avant tout le monde de la démission prochaine d’un Responsable RH d’une des entités de notre groupe. Elle convoitait son poste et s’imaginait que quelques semaines de léchage de fesses intensives suffiraient à racheter des années de mauvais esprit.

Côtoyer une version extrême fayotte de Patricia m’a permis d’apprendre quelque chose sur moi-même : j’ai une endurance au lècheculisme de deux jours en moyenne. Passé ces deux jours, une folle envie d’emplafonner le fayot servile me brûle les doigts.

Quand je fis part des mes conclusions empiriques à mes camarades de bar, je découvris que chez eux, cette endurance pouvait être tout aussi courte qu’illimitée. La patience face à un lécheux comme diraient nos amis Québécois, est propre à chacun, probablement inscrite dans nos gênes et alimentée par notre éducation :
« - Je ne tiens même pas vingt minutes, répondit Béatrice. Je crois que j’ai quitté plus de la moitié de mes jobs à cause des lèche-culs qui m’entouraient.
- Moi, intervint Karim, je suis manager, alors c’est mon cul qu’on lèche.
- Et alors ? T’as eu le droit à quoi ?
- J’ai de la chance, j’ai le Roi des fayots dans mon équipe. Il organise des petits déjeuners gargantuesques pour mon anniversaire, toujours avec un cadeau personnalisé d’au moins 30 euros et il balance sur tous ses collègues dès qu’il a l’occasion d’être seul avec moi.
- Et ?
- Au début, je pensais qu’il suffisait de faire abstraction mais en fait, au bout d’un mois, j’ai eu envie de lui claquer le beignet. Quelqu’un de trop mielleux peut vite devenir insupportable. Enfin, il s’est calmé quand je l’ai descendu en entretien annuel, lécher c’est bien, faire ses objectifs, c’est mieux !
- Louise ? Tu travailles avec des fayots toi ?
- Dans les grosses boites comme la mienne, répondit-elle, il y en a plus que de raison, des planqués, des fayots, des langues de bois… Je me demande même si on ne devrait pas parler d’écosystème à ce stade-là.
- Tu les supportes combien de temps ? demandais-je.
- Oh moi, je m’en fous. Il y en a pour qui le léchage de pompes fonctionne, dans un sens, tant mieux pour eux. Mais je me dis que la poudre aux yeux ne dure qu’un temps et que l’incompétence ne reste jamais très longtemps cachée par tout ce tralala.
- Et toi Quentin ?
- Ben étant donné que je travaille dans le porno, les ¾ de mes collègues passent leur journée à lécher des culs, littéralement bien entendu. » Un geignement collégial se fit entendre tant nous étions frappés par l’image mentale qui se présentait à nous. « Par contre les lèche-bottes, c’est plutôt dans les films SM qu’on peut les trouver.
- Arrête, fit Béatrice, on a tous compris où tu voulais en venir… »

Pour résumer :
- Louise, la consensuelle, peut les supporter sans broncher,
- Béatrice, l’impulsive, en est allergique, elle ressent à leur égard une aversion quasi-épidermique,
- Karim, le courtisé, peut tenir un mois entier tout en restant de marbre,
- Moi, le RH, je tiens à peine deux jours.

Maître Renard avait-il raison en narguant Maître Corbeau : « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute» ? En fait, la manœuvre séductrice de Patricia aurait presque pu fonctionner si notre manager n’avait pas convoité exactement le même poste, gloups !
Ce dernier ne s’est pas gêné pour la descendre auprès des recruteurs de l’autre entité, réduisant sa candidature à néant et grillant par là même ses propres chances d’accéder à ce poste : en effet, qui voudrait d’un manager qui pourrit autant ses équipes et comment savoir quelle est sa part de responsabilité dans l’incompétence de ses collaborateurs ?

En fin de comptes, le piaf et le renard se sont retrouvés le bec dans l’eau.

lundi 17 octobre 2011

Les 10 questions les plus débiles qu'on peut vous poser en entretien d'embauche 3/10

La question pseudo-mystique dont personne ne comprend le but...

A un moment ou à un autre, au cours de votre recherche d'emploi, il se peut que l'on vous pose une question dont vous ne comprendrez vraiment pas l'intérêt. Vaguement philosophique, vaguement abstraite, elle vous laissera pantois tant son rapport avec le poste ou même le monde l'entreprise en général vous semble impalpable.

Oyez oyez manant, prosternez-vous ! La légendaire question pseudo-mystique vient de vous être posée. Tel Œdipe face au Sphinx, il vous faudra faire preuve de sagesse et de ruse pour ne pas vous faire piéger (ou pour la comprendre tout simplement).

Peu importe qui vous la pose, peu importe la forme qu'elle prendra, vous pouvez être sûr qu'elle fera appel de la part de votre interlocuteur à des trésors de psychologie de comptoir et d'interprétations pignoufs diverses et variées.

Une petite recherche sur internet vous permettra de trouver tout un tas de ces questions pseudo-mystiques, toutes plus débiles les unes que les autres. J'aurais pu essayer de détailler chacune d'entre elle sur ce blog mais la tâche me semble si démesurée que j'en ai été découragé. En voici deux exemples que j'ai personnellement eu lors d'entretiens d'embauche (les rares fois où j'ai endossé le rôle de candidat) :


  • Vous partez sur une île déserte et vous ne pouvez emporter qu'une seule chose avec vous, qu'est-ce que ce serait ?
Cette question est tellement éculée qu'une très grande majorité d'entre vous a déjà dû y répondre. C'est con comme question, très con à mon avis mais bon, puisqu'elle risque de vous être posée, tentons l'expérience...

Démontrez votre raffinement cultivé, répondez donc : « Pour pallier à l'ennui, j'emporterai avec moi l'intégral du théâtre de Racine. » (on y croit tous ! Seulement, ça fait moins tarte à dire que l'intégral de Marc Levy, non ?). En toute franchise, si je me retrouve tout seul sur une île déserte, je pense que je préférerais avoir sous la main l'intégral de Playboy ou de Penthouse, parce que soyons honnête, la solitude, ça pèse...

Vous pouvez également faire preuve de pragmatisme, on ne se nourrit pas que de littérature et d'eau fraîche. Répondez : « Je prendrais avec moi une réserve phénoménale de boites de conserve » (n'oubliez pas l'ouvre-boite !). Bon, moi je prendrais aussi une bonne réserve d'alcool pour tuer le temps...

Une petite touche d'humour ne peut pas faire de mal non plus ! Répondez : « J'emporterais un téléphone portable pour appeler à l'aide... ». C'est quitte ou double : si vous obtenez un sourire de votre interlocuteur, estimez l'épreuve de la question pseudo-mystique réussie (à moins qu'il ne se fiche de vous derrière son sourire narquois), s'il vous regarde d'un air blasé, c'est que vous n'avez pas fait mouche.


  • Vous organisez un diner auquel vous ne pouvez inviter que trois personnes. Qui invitez-vous et pourquoi ? (personnes réelles, imaginaires, vivantes ou mortes)
Dieu que c'est intéressant comme question ! Et puis votre réponse pèsera vraiment de tout son poids dans la décision du recruteur, soyez-en sûr... Évidemment, le but est de vous faire parler, de voir vos capacités d'improvisation et d'argumentation sur des sujets aussi débiles soient-ils (moi, je trouve qu'il y a quand même des limites).

Si vous répondez « Maman, ma cousine Viviane et Louis de Funès », il va falloir défendre ardemment votre point de vue. Votre interlocuteur risque de rester circonspect à moins de lui expliquer que votre mère a grimpé l'Everest avec des béquilles, que votre cousine Viviane est sûr le point de trouver un remède contre le cancer et que certains essais de Louis de Funès sont de toute première qualité littéraire.

Vous pouvez aussi utiliser une réponse passe-partout de type : « Jésus, Don Quichotte et Gandhi ». C'est une réponse classique qui peut se défendre sans trop de difficulté (bien qu'il faille tout de même savoir qui est Don Quichotte et ce qu'a fait Gandhi). Mais honnêtement, à moins que Jésus ne transforme la Badoit en Château Petrus, le diner risque d'être un petit peu chiant, non ? (même si Don Quichotte souffre déjà de delirium tremens et que Gandhi ne doit pas picoler des masses).

Vous souhaitez en mettre plein la vue à votre recruteur ? Allez-y au culot et inventez : « Pâli Malî Maaguya, poète birman du 17ème siècle, Nick Lafugueur, héros facétieux de l'auteur Québécois Louis Desjardin et Jeanne De Labrière, comtesse suisse rendue célèbre pour son action auprès des suffragettes ». Là, ça en jette un max ! Il y a un risque cependant, votre interlocuteur peut être un passionné de la littérature birmane ou bien s'empresser de vérifier vos dires sur internet une fois l'entretien terminé.

Évitez également de nommer des héros de dessins-animés ou des personnages trop tendancieux dont l'évocation pourrait inciter votre interlocuteur à certains raccourcis de pensée désobligeants. Un diner entre « Hitler, Oui-Oui et Lady Gaga » peut à la rigueur être divertissant mais question crédibilité aux yeux du recruteur, ce n'est peut-être pas la meilleure des réponses (quoiqu'encore une fois, si vous arrivez à le défendre, pourquoi pas...).


Alors, à votre avis, qu'est-ce qu'en déduira votre interlocuteur ? Pas grand chose, hein ? Parce que soyons honnêtes, les réponses que vous pourrez lui faire seront tellement banales que la plupart du temps, il ne prendra même pas la peine de les noter.

Pour info, à ces question j'ai répondu :
  • Sur une île déserte, j'emporterais un manuel de survie. J'ai opté pour le pragmatisme.
  • Au diner, j'inviterais ma cousine Viviane, Sherlock Holmes et François Mitterand. J'imagine que le recruteur a dû me prendre pour un gauchiste pas très futé mais j'ai quand même eu le poste ! (soit j'étais le seul candidat, soit ma réponse n'a pas été prise en compte)

lundi 10 octobre 2011

Tu seras nécrologue mon fils !


Vous êtes-vous déjà demandé qui se cachait derrière ces discours particulièrement barbants dont nous assènent les grands patrons aux pots de départ de leurs plus éminents sous-fifres ? Moi, j'ai eu la réponse la semaine passée.

Alors que l'un des directeurs de notre banque part à la retraite d'ici un mois, mon Responsable s'est approché de moi afin d'obtenir quelques informations biographiques sur son compte. L'idée était de fournir de la matière première au PDG afin qu'il puisse, lors du pot de départ, nous servir en plus des petits fours habituels une petite biographie pas piquée des hannetons. Moi, recruteur chevronné, je lui sors le CV du directeur en question puis reprends mes activités normales (pour un RH, c'est tout de même l'outil biographique par excellence). Mon Responsable semblait plutôt circonspect, il resta à mes côtés sans ajouter un mot.
« - Avez-vous besoin d'autre chose ? lui demandais-je alors.
- Vous ne pourriez pas me donner un document Word plutôt ?
- Vous le voulez sous format électronique ?
- Non, le Président préférait quelque chose de plus … rédigé.
- Rédigé ?
- Oui, un petit texte quoi.
- Un petit texte ? dis-je, je ne suis pas sûr de comprendre.
- Il ne veut pas un CV, je lui ai déjà fourni un.
- Qu'est-ce qu'il veut alors ?
- Vous êtes idiot ou vous le faites exprès ? Il veut une biographie clé-en-main, il m'a même demandé de faire un peu d'humour et de rajouter des anecdotes personnelles sur son compte.
- Il veut qu'on lui rédige son petit speech en fait.
- Bingo !
- Et c'est moi qui m'y colle ?
- Super bingo ! Vous voyez quand vous voulez, vous comprenez. Je le veux pour ce soir. N'oubliez pas : personnalisé, drôle et un peu pète-sec, il faut qu'on aie l'impression que ce soit le Président l’auteur.
- Ne vous inquiétez pas, j'ai suffisamment assisté à ces discours à la noix pour connaître son style. »

J'ai appris par la suite que le PDG avait, comme à l'accoutumé, demandé à son adjoint de rédiger ce petit speech. Son adjoint, comme d'habitude, avait demandé à son assistante de s’en charger. Mais celle-ci étant particulièrement novice, elle ne sut pas par quel bout commencer, elle s'adressa donc au Secrétaire général. Ce dernier, n'étant pas du genre à s'embarrasser de tâches aussi ingrates, s'est empressé de la transmettre au DRH qui, par le biais d'une inébranlable chaîne de défection, l'a déléguée au Responsable RH qui me l'a remise entre les mains. C'est ainsi que je sus que tout le monde détestait écrire ces biographies rébarbatives que l'on nous sert aux pots de départ (enfin, aux pots de départ des personnes importantes, je ne crois pas que le Président se donnerait la peine de dire un mot ou même de se déplacer si jamais je quittais sa merveilleuse entreprise).

Je me suis donc retrouvé face à la page blanche avec comme seule aide une saloperie de CV si ancien qu'il avait été tapé à la machine. Mes ambitions d'écrivain furent donc mises à rude épreuve ! Quelques coups de fils bien dirigés (mais discrets !) me permirent de récupérer une ou deux anecdotes potentiellement utilisables. Il va sans dire que j'ai décidé de passer sous silence ses histoires de coucherie avec sa secrétaire, deux stagiaires à peine majeures et le mec qui distribue le courrier, ça ne collait pas assez avec le style habituel du PDG. Par contre, il est vrai que je me suis tâté assez longtemps sur l'anecdote concernant l'une des soirées du personnel particulièrement arrosée durant laquelle il a fini à moitié à poil dans la Seine. Mais, tel un journaliste du 20h, je me suis dit que l'autocensure serait une façon comme une autre de préserver ma carrière.

Sur le moment, la comparaison avec un journaliste du 20h n’était pas si évidente à mes yeux. J’avais plutôt l’impression d’être un pisse-copie employé par la gazette du village, obligé d’écrire la nécrologie de la vieille dame qui tenait lieu de bibliothécaire et qui sentait le pipi. J'ai vaguement essayé de faire sortir une ligne directrice à sa longue carrière, comme s'il était nécessaire de donner un sens à cette accumulation d'expériences professionnelles, comme si son départ en retraite était arrivé au terme d'un parcours bien rempli et que rien ne serait regretté. Par contre, je me suis vite rendu compte qu’il ne servait à rien d'essayer d'émouvoir l'auditoire, les émotions n'ont pas leur place dans le monde de l'entreprise. Vous pouvez partir à la retraite la fleur au dentier, on ne vous pleurera pas trop longtemps !
En fin de compte, un pot de départ, c'est comme un enterrement sauf que le principal intéressé est encore là pour boire un coup.

J'ai donc fini par pondre un petit texte insipide qui tenait plus de la nécrologie consensuelle que de la déclaration bourrelée de remerciements qu'on aimerait tous entendre après une vingtaine d'année sacrifiée à une entreprise. Elle a néanmoins satisfait mon boss qui a ajouté sa touche personnelle afin de la revendiquer sienne et qui l'a rendue au DRH qui, par la suite, se l'est largement attribuée en la remettant au Secrétaire général. Ce dernier, plus honnête, l'a remise à l'assistante de l'adjoint du Président sans préciser qui en était l'auteur. Celle-ci étant plus jeunette, elle l'a transférée à son tour à son supérieur en précisant bien que le Secrétaire général l'avait écrite, information inutile puisqu'elle disparut une fois la biographie remise entre les mains du Président (qui de toute façon, s'en foutait éperdument).

Le petit discours eut l'effet escompté : toutes les personnes présentes s'ennuyaient ferme tout en feignant de ne pas loucher sur le buffet et les bouteilles de champagne. Enfin, c'est ce que j'imagine puisque je n'ai même pas été convié à la petite sauterie (je m'en fous, j'aime pas les « au revoir »). Ce qui m'a le plus touché ce fut que le Président trouva le speech à son goût et qu'il demanda à ce que toutes les prochaines biographies soient écrites par la même personne. Quelle chance !

La prochaine fois que vous serez obligé d'écouter une de ces biographies à trois sous et que vous vous demanderez qui est donc capable d'écrire un speech aussi douceâtre, qui s'est amusé à chercher des informations aussi inintéressantes et qui a pu se croire drôle en débitant ces jeux de mots faciles et téléphonés, pensez au type qui se trouve tout au bout de la chaîne de délégation, ce pauvre gars qui ne demandait rien à personne qui s'est retrouvé propulsé « nécrologue » officieux de l'entreprise.

samedi 17 septembre 2011

Brèves de RH 3 - "Raciste !"

Lors d'un entretien avec un collaborateur qui accuse son manager de racisme :
- ...Et là, mon manager me dit : "Il faudra que vous me débroussailliez tout ça pour demain", vous vous rendez compte ?
- Euh, je me rends compte de quoi ?
- "Débroussailler" ! La brousse, l'Afrique ! C'est parce que je suis noir, qu'il a dit ça !"
- La brousse, c'est en Afrique, c'est sûr, mais savez-vous qu'on trouve de la broussaille dans toutes les forêts d'Europe ?

samedi 3 septembre 2011

Et vous, seriez-vous prêt à sacrifier Fay Wray pour votre carrière ?

Dans leurs discours gonflés à l'hydrogène populiste, les hommes politiques actuels nous ressassent avec obstination les deux valeurs inaliénables de la France qui se lève tôt : « travail » et « mérite ». Les idées de « réussite facile » et de « carrière rapide » sont un peu passées de mode électorale même si dans le fond, ces mêmes hommes politiques représentent eux-même un idéal carriériste assez discutable, eux qui ont su appliquer cet incroyable adage : on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs – traduisez, on ne fait pas carrière sans quelques petits sacrifices (vie de famille, amitiés fidèles, probité morale...).

Et oui, ce modèle de réussite professionnelle et sociable encensé dans les années 80 fait toujours beaucoup d'émules et, à vrai dire, chacun de nous est prêt à sacrifier pas mal de chose pour une belle carrière (et souvent sans en être récompensés). Certains sacrifient leur couple ou leur famille, d'autres leur santé tant physique que mentale, et cela seulement pour faire plaisir à un manager qui, le jour de la distribution des primes annuelles, ne se souviendra même pas de notre prénom.

Fay Wray, King Kong 1933
Quand je vois certains des collaborateurs de ma banque se mettre la rate au court bouillon pour réussir des objectifs improbables, j'ai toujours en tête les images du film King Kong, vous savez, quand les indigènes vénérant le gros singe s'apprêtent à lui sacrifier leur seule pin-up, la délicieuse Fay Wray. J'en vois tous les jours, des collaborateurs arrivés à un niveau de soumission et de sacrifice qui, selon moi, dépasse l'entendement, prêts à tout pour assouvir ce dieu païen nommé Carrière. C'est un dieu gourmand, courroucé, puérile et injuste, dont les prêtres présents parmi nous (nos managers) fixent les règles du jeu.

Qui n'a pas assisté à ces messes noires orgiaques (aussi appelé « vœux du présidents » ou « soirée du personnel ») durant lesquelles les gourous fanatiques marmonnent aux badauds enivrés et abrutis les messages du guide de conduite de l'employé modèle, véritable bible enrichie d'images d'Épinal sous présentation power point ? Ils nous vantent ce monde meilleur, éden où règne l'abondance et surtout une productivité en hausse de 10% en moyenne, qui ne sera atteint que par les vrais fanatiques, ceux qui croient en ce modèle et qui appliquent religieusement ses préceptes. Et ils prédisent à ceux qui s'écarteraient du droit chemin et autres brebis égarée un avenir sombre et incertain et, surtout, une exclusion définitive et sans préavis de la terre promise.

Et pour les exemplaires, les martyrs, ceux qui ont tout donné avec abnégation, ceux qui, à leur tour, ont été prêcher la bonne parole, ceux qui ont su grimper peu à peu le calvaire hiérarchique, en gros, ceux qui ont le plus sacrifié au dieu Carrière, la récompense ultime sera à portée de main : à cinquante ans, ils sont jugés « plus bons à rien » et mis manu militari à la retraite. Ah ça, il s'est bien foutu de leur gueule le gourou avec son « monde meilleur » : « questions pour un champion » et double ration de verveine pour nos plus braves soldats !

Tu n'as pas vu tes enfants grandir ? Pour ce que ces petits ingrats te remercieront.
Ton cancer est peut-être imputable au stress ? Ca reste à prouver.
Ta femme s'est tirée avec une grosse pension alimentaire ? Ca te motivera à gagner encore plus d'argent.
Tu es détesté par tous tes collaborateurs ? On est pas au travail pour se faire des amis.
Tu n'as perdu de vue tous tes amis ? Avec l'argent que tu amasses, tu pourras en acheter de nouveaux.

C'est sûr, en ce bas monde, on a rien sans rien !

lundi 8 août 2011

Brèves de RH 2 - La bande à Picsou

Lors d'un entretien d'embauche, j'interroge un candidat sur sa motivation :

-Et pourquoi la banque ?
- J'ai toujours voulu travailler dans le milieu bancaire, me répond le candidat.
- Toujours ?
- Oui, depuis que je suis tout petit, quand je lisais Piscou, je voyais son coffre fort et je me disais « j'aimerais travailler dans cet univers ».
- « Piscou » ?
- Oui, le canard de Disney super riche, me confirme-t-il.
- Ah, Picsou vous voulez-dire...

lundi 25 juillet 2011

Mon boss veut se débarrasser de moi

Louise est selon moi une collaboratrice modèle, impliquée et professionnelle en toute situation. D'humeur égale, je pense bien que ses différents managers n'ont jamais eu à se plaindre d'elle, au contraire.
Et pourtant, en la voyant arriver de soir-là dans notre troquet habituel, j'ai tout de suite vu que quelque chose la tracassait et que, œil de RH oblige, cela concernait son travail. Sans un mot de plus que les habituelles salutations, elle s'installa à coté de Karim et commanda un soda sans sucre.
« - Et bien Louise, lui demandais-je, que se passe-t-il ?
- Rien, rien du tout.
- Raconte, tu verras ça te fera du bien.
- Ben, je ne sais pas trop en fait, c'est quelque chose que m'a dit mon chef ce matin.
- Qu'est-ce qu'il t'a dit ? l'encouragea Béatrice.
- Ce n'est pas trop ce qu'il m'a dit, mais plutôt la façon dont il me l'a dit. J'étais en train de rédiger une lettre de relance pour un de nos clients norvégiens quand il m'a demandé de venir dans son bureau. Là, il me dit de m'assoir et me demande tout d'un coup comment j'envisageais mon évolution au sein de l'entreprise.
- C'est plutôt sympathique.
- Qu'est-ce que tu as répondu ?
- Mais que tout allait bien, continua Louise, que j'étais tout à fait intégrée dans l'équipe et que j'aimais ce que ce je faisais et donc que je ne souhaitais pas forcément changer de poste.
- Et ?
- Et alors il a insisté, il m'a demandé si je n'avais jamais réfléchi à bouger, si je m'étais rapprochée des RH pour parler mobilité. A un moment, il m'a carrément sorti une offre d'emploi pour laquelle mon profil correspondait parfaitement. Je me suis sentie si mal à l'aise, j'ai eu l'impression qu'il voulait se débarrasser de moi.
- A-t-il des raisons d'être mécontent de ton travail ?
- Non, il me répète tout le temps que je suis le meilleur élément de son équipe.
- Bon, ce n'est pas bien grave, conclus-je.
- C'est bien vrai docteur RH ? demanda Béatrice en rigolant, elle n'est pas condamnée ? »

En fait, Louise est loin d'être condamnée, elle a juste été reçue par un manager nouvelle génération, un manager qui prend soin de ses collaborateurs et qui souhaite inscrire leur relation dans un cadre un peu plus large que la simple exécution de la charge de travail quotidienne. Bon, l'entrée en matière et l'insistance qu'il y a mis étaient peut-être déplacées ou mal-interprétées par Louise mais l'intention est plus que louable.

La maladresse du manager de Louise a créé beaucoup d'inquiétudes pour rien, elle a réveillé en mon amie cette peur primaire qui fermente discrètement dans l'inconscient de tout employé : « mon boss veut se débarrasser de moi ». C'est une peur si solidement ancrée en nous que, inconsciemment, nous sommes prêts à interpréter le moindre petit signe et à mordre celui ou celle qui oserait en être la source. Peu d'employés se sentent suffisamment sûrs d'eux pour ignorer cette crainte ancestrale.

Peut-être que cette peur est liée au marché de l'emploi difficile en France depuis tant d'années. Peut-être est-ce dû à toutes ces histoires que nous entendons sur ces employés modèles licenciés manu militari après de nombreuses années de bons et loyaux services. L'histoire à de quoi rendre craintif les collaborateurs...

Moi, je pense qu'on peut faire une interprétation beaucoup plus freudienne de la chose. Pour moi, on peut remonter jusqu'à la petite enfance, aux premiers pas dans le système éducatif. La maîtresse, facilement assimilable au manager d'équipe, distribue les bons et les mauvais points et surtout, a le pouvoir d'isoler du reste de la classe l'élément perturbateur : la honte suprême pour tout enfant ! Une honte si forte qu'elle créera un fort traumatisme et une peur instinctive de tout signe avant-coureur d'une potentielle exclusion du groupe, CQFD.

Bien sûr, quand j'ai fait part de mes conclusions de psychologue de bas étage à Karim qui gère une équipe de six personnes, il a haussé les sourcils et m'a souri : on lui avait déjà fait remarqué que le rôle de manager était équivalent à celui d'un père de famille nombreuse. Je ne sais pas trop quoi en penser mais je me suis dit que Freud aurait pu écrire encore plus de bouquins s'il s'était plus penché sur le monde du travail.

Le lendemain, Louise a eu la surprise de recevoir un e-mail de son manager, un long e-mail qui reprenait dans le détails l'échange qu'ils avaient eu la veille. Je ne lui ai évidemment pas dit de se méfier même si on sait pertinemment en RH qu'un manager qui écrit est un manager qui prend ses précautions. Je lui ai juste conseillé de répondre à l'e-mail et d'expliquer par écrit son point de vue afin d'affirmer une nouvelle fois sa motivation, son bien-être et son attachement à son poste actuel.

En fin de compte, je ne pense pas que son manager voulait se débarrasser d'elle, Louise est une collaboratrice de trop bonne qualité pour être mise au rebut du jour au lendemain, j'imagine que son manager voulait juste s'assurer qu'on ne pourrait pas lui reprocher de ne pas avoir essayer d'accompagner les membres de son équipe dans leur évolution professionnelle (volonté peut-être fortement encouragée par la direction et les RH).

jeudi 14 juillet 2011

Les 10 questions les plus débiles qu'on peut vous poser en entretien d'embauche 2/10

« Et vos parents ? Ils font quoi dans la vie ? »

Une fois encore, vous êtes chanceux : vous avez devant vous un recruteur champion du monde ! Une espèce en voie de disparition (on espère en tout cas) de RH rétrograde qui entrave allègrement toute règle de non discrimination en vous posant une de ces questions qui devrait être définitivement reléguée à l'École des fans de Jacques Martin :
« Mon papa, c'est le gros monsieur là-bas à gauche, avec le caméscope et il est inspecteur des impôts alors me casse pas trop les cacahouètes avec tes questions débiles et laisse-moi chanter. »

Que dire de la fantastique mais toujours trop récurrente question sur la profession des parents ?

Dans un premier temps, ne nous faisons pas d'illusions, cette question n'est qu'une manière assez peu déguisée pour votre interlocuteur de déterminer votre milieu social d'origine. Ah Discrimination quand tu nous tiens...

Ensuite, dites-vous que, quelle que soit votre réponse, la profession de vos parents sera irrémédiablement accompagnée dans l'étroite mais tortueuse cervelle de votre interlocuteur par une masse de clichés éculés.
Par exemple :
  • Vos parents travaillent à l'usine ? Chouette se dira-t-il ! Vous êtes le fils de prolétaires vertueux qui ont su inculquer à leur progéniture les valeurs du labeur difficile et honnête. Et vous, fier bourgeon de cette union ouvrière, vous avez su vous extraire de cette fange plébéienne grâce à vos efforts, votre courage et votre abnégation. Bel exemple de réussite et d'égalité républicaines, vous serez peut-être corvéable à merci pour un salaire misérable. Problème : vous êtes probablement socialiste voir pire, communiste... Argh !
  • Vos parents tiennent un ou deux commerces dans une grosse ville de province ? Vous êtes un fils de la petite bourgeoisie commerçante, élevé dans son joli cocon doré, qui n'a rien foutu au lycée et qui, après avoir plus ou moins réussi sa couteuse école de commerce (ESC Vesoul ou Quimper) tentera de trouver un petit boulot pépère avant de reprendre la boutique de papa. Bon point pour vous : vous votez sûrement à droite !
  • Vos parents sont fonctionnaires ? Alors là, je crois que vous tenez le pompon des clichés, pourquoi ne pas dire qu'ils sont délégués syndicaux pendant que vous y êtes ! Une fois, un recruteur a carrément déclaré à Béatrice que si ses parents étaient fonctionnaires, l'entretien pouvait s'arrêter tout de suite. 
  • Vos parents dealent de la drogue ? Ah c'est bien le commerce, pourvu que le sens des affaires soit inscrit dans vos gênes pourra se dire votre recruteur...

Normalement, passé trente ans, cette question stupide parmi tant d'autres ne vous sera plus trop posée (c'est déjà ça) pour une seule et simple raison : à cet âge, on considère que vous êtes libéré du joug de vos parents et que vous êtes un être pensant à part entière. On pourrait croire qu'il y a une sorte de logique sous-jacente mais franchement, je le me demande encore.

La réponse parfaite à notre question débile numéro 2 ? Il n'y en a pas vraiment.
Dites-vous que si vous voulez réellement le job, cela ne vaudra pas le coup de jouer les offusqués ou d'essayer de faire la morale à votre interlocuteur (franchement, vous n'y gagnerez pas grand chose).
Par contre, si vous n'avez pas peur de bluffer un peu, dites que vos parents sont décédés. Ça devrait clouer le bec au recruteur et le mettre suffisamment mal à l'aise pour qu'il change de sujet et se concentre sur d'autres aspects importants de votre candidature, vos accointances politiques, votre orientation sexuelle ou vos croyances religieuses par exemple...

mercredi 6 juillet 2011

Petites discussions d'ascenseur

Les colloques RH organisés par le groupe anglais auquel ma petite banque appartient sont d'un ennui mortel. Il s'agit de réunion de gros pontes des Ressources Humaines venus pour se féliciter les uns les autres de leurs actions et de leurs méthodes (qui, parfois, laissent pourtant bien à désirer). Pour moi, c'est surtout un moyen de croiser mes alter-égos des autres filiales et de socialiser un peu. Pour Patricia, ma collègue, c'est la meilleure façon d'essayer de se faire mousser dans une sorte de pince-fesses professionnel et, surtout, de lécher de nouvelles bottes. Pour Grégoire, le chargé de RH d'une autre filiale financière du groupe, c'est avant tout une surabondance d'alcool et de petits-fours hors de prix.

« - Ha, commença-t-il en tapotant l'épaule de Patricia, qu'il est bon de travailler dans un groupe qui sait mettre les petits plats dans les grands. Vous avez gouté ces petits trucs au saumon ? C'est pas dégueu...
- À t'écouter, répondit Patricia en se dégageant l'épaule, on pourrait croire que tu n'acceptes de venir que pour manger et boire.
- Parce que toi tu viens pour la conférence peut-être ? Attends, pendant tout le discours de Bettina, tu n'as pas arrêté de glousser à coté d'Henry Gettisburg, d'ailleurs, ton petit jeu n'est pas très subtile. Et toi, Westmacott, pourquoi tu viens dans ce genre de meeting ?
- Pour avoir la joie de revoir tes beaux yeux.
- Je sais que c'est dur à entendre mais tu dois m'oublier W, t'es pas mon genre ! fit-il avant de finir, cul sec, son verre de vin rouge. Oh, je t'ai pas raconter la dernière ? J'étais dans l'ascenseur avec une candidate...
- Attends, je la connais cette histoire, la candidate était jolie et l'ascenseur s'est arrêté ?
- Non, laisse-moi finir, la candidate avait l'air plutôt timide, enfin je le croyais, mais alors que je tentais désespérément de la faire parler un peu, voilà-t-y pas que je la surprends en train de me fixer la braguette. Je vous jure ! Elle n'arrivait pas à détacher ses yeux de ma putain de braguette ! J'ai fais claquer ma langue, elle a relevé la tête, rouge de honte. Je vous raconte pas l'entretien qui a suivi, c'était pas des plus détendus comme atmosphère.
- Prise sur le fait !
- Quelle gourde, jugea Patricia, j'espère que tu ne l'as pas embauchée... Moi, j'ai horreur de prendre l'ascenseur avec mes candidats. La plupart du temps, je laisse les hôtesses d'accueil les faire monter et je les récupère devant les ascenseurs, à l'étage.
- Moi non plus je ne sais jamais quoi leur dire. Tout ce que j'arrive à bredouiller c'est « vous avez trouvé facilement ? ». Les plus bavards m'expliquent tout leur parcours de A à Z, les moins loquaces marmonnent un « oui ».
- Et pourtant, fit Grégoire en appelant d'un geste résumant toute sa délicatesse légendaire un des serveurs munis d'une bouteille de vin, c'est un moment privilégié, presque un moment unique.
- Que veux-tu dire ?
- Dans l'ascenseur, l'entretien d'embauche n'a pas encore commencé : on peut parler du trajet, de la pluie et du beau temps, du programme télé... le candidat, s'il n'est pas trop intimidé, n'a pas conscience qu'il est déjà en présence du recruteur, l'ascenseur, c'est un endroit neutre à ses yeux. Et c'est le moment idéal de picorer des informations par-ci par-là.
- Quel genre d'information tu peux bien récolter ?
- Haha, ça dépend de mes questions. En ce moment, avec le mondial, c'est presque trop facile. Si mon candidat est un homme, je demande presque toujours ce qu'il a pensé du match de la veille.
- Tu déconnes ?
- Non, s'il me répond : « Je n'ai par regardé, je n'aime pas le foot », alors j'en déduis que mon candidat est soit snob, soit pédé.
- Ô mon Dieu...
- S'il répond : « je n'ai pas pu regarder », ça veut dire que c'est bobonne qui régente la télécommande et que c'est un castré. S'il me répond qu'il a suivi tous les matchs et qu'il poursuit sur ce sujet pendant tout le reste du chemin, c'est que c'est un beauf.
- Je vais faire semblant de ne pas avoir entendu ce que tu viens de dire.
- Pourquoi ?
- En gros, avec ta question débile sur le foot, tu peux dire si un mec est gay, castré, snob ou beauf.
- En gros, oui.
- Et, en imaginant que ton petit test soit infaillible, ce que je suis loin de croire, qu'est-ce que ça t'apporte de savoir ça ?
- Plein de choses ! S'il vient pour un poste en relation directe avec le PDG, je vais éviter de choisir un beauf, s'il vient pour bosser avec une nana comme Patoche ici présente, un castré sera parfait !
- Très drôle Grégoire, fit cette dernière de son ton le plus glacial.
- Au fait, W, tu as regardé le match hier ?
- Pas besoin de lui poser la question, répondit-elle à ma place, il entre dans les quatre catégories à la fois. »
Patricia nous laissa sur ces dernières paroles et se dirigea avec son plus beau sourire vers le DRH d'une grosse filiale slovène. Elle avait probablement perdu assez de temps avec nous, éléments négligeables de sa nébuleuse carriériste.
« - Quelle pétasse ! Je ne sais pas comment tu fais pour bosser avec elle.
- Moi, je ne sais pas comment t'as fait pour la sauter.
- Tu ne peux pas savoir, puisque tu rentres dans les quatre catégories. »

Que dire du petit échange informel que vous pouvez avoir avec un recruteur dans un ascenseur ? Comme à son habitude, Grégoire a exprimé avec les mots les plus crus qui soient une vérité bien connue des RH : les petites discussions d'ascenseur peuvent avoir leur importance.

Je me souviens par exemple d'une candidate qui, à ma sempiternelle question « vous avez trouvé facilement ? », a réussi à me parler de son fils de dix-sept ans qui passe ses journées sur ordinateur et qui, après s'être fait longuement désiré, a fini par lui télécharger son itinéraire sur le site de la RATP. Elle a enchaîné sur le SDF qui faisait la quête dans le métro et qui avait une si jolie voix, puis sur ses péripéties piétonnes pour arriver jusqu'à notre immeuble (j'ai appris par la même occasion combien notre trottoir était sali par les mégots de cigarette et les crottes de chien). Dix minutes plus tard, alors que nous étions installés dans mon bureau et qu'elle avait enfin fini son histoire, elle s'est mise à me vanter ses qualités de synthèse et d'à-propos, j'avoue avoir eu quelques doutes à ce moment-là.

Je pense qu'on ne fait jamais assez attention à ce qu'on dit lors de ces petits laps de temps informels. Le but du jeu n'est pas de rester muet comme une carpe, au contraire, mais de pouvoir faire preuve de qualités sociales sans pour autant s'épancher trop.

Pour les recruteurs qui me lisent, une astuce : dans l'ascenseur, mettez votre candidat le plus à l'aise possible. Parlez de tout et de rien, abordez le plus de sujets possibles, plaisantez et n'hésitez pas à lancer des discussions aussi passionnantes que l'histoire de l'immeuble ou des anecdotes sur la vie de votre entreprise. L'objectif n'est pas de récolter des informations comme le fait Grégoire, mais au contraire, de mettre le candidat dans les meilleurs conditions possible, il faut qu'il vous fasse confiance. S'il vous voit comme une personne sympathique et ouverte à la conversation, il se montrera loquace durant l'entretien, il évitera d'en faire des tonnes et sera même plus honnête. Dites-vous que dans l'ascenseur, vous poser les bases d'un échange égalitaire et constructif.

Si Grégoire lit ces lignes, il doit bien se marrer.

mardi 28 juin 2011

Brèves de RH 1 - Réponse corsée


Lors d'un entretien d'embauche :

- Si je demandais à votre manager actuel quels seraient vos axes d'amélioration, que pourrait-il me répondre ?
- Ben je sais pas trop... que je suis Corse je pense.

dimanche 19 juin 2011

Faut-il coucher pour réussir ?

Vince McCain : Vous savez, Willa, vous ne devriez pas vous habiller comme ça au bureau, on pourrait s'imaginer que vous êtes prête à coucher pour y arriver.

Willa Weston : Du moment qu'on ne s'imagine pas que je suis prête à coucher pour arriver à rien.

Kevin Kline et Jamie Lee Curtis dans Créatures féroces, 1997


Étant donné sa carrière dans l'industrie pornographique, on pourrait supposer que Quentin ne soit pas réellement concerné par cette question : faut-il coucher pour réussir ? J'avoue que j'ai été bien surpris quand il m'a appelé pour me faire part de ses scrupules à ce sujet.
« - Quentin, tu te fous de moi ou quoi ? Ton travail C'EST coucher !
- Mais justement, c'est mon métier. Et je ne couche qu'avec des personnes pour qui c'est aussi le métier. »
En fait, Quentin avait passé ce jour là un casting pour un film réalisé par l'une des plus célèbres maisons de production de pornos, le rôle proposé était pour lui un bon moyen de booster sa carrière. Tout s'était bien passé, il avait fait un bout d'essai avec une actrice (sans sexe) et il avait pu présenter des vidéos de ses meilleures scènes d'action (j'étais loin de croire qu'un casting pour un rôle dans un film de cul se rapprocherait autant d'un entretien d'embauche plus conventionnel). Il a dû être convaincant puisqu'il a obtenu le rôle désiré, celui de Franz, le touriste allemand fasciné par les coutumes locales. Mais, au moment de partir, la directrice du casting, une ancienne actrice ayant raccroché une dizaine d'années auparavant, lui a fait comprendre de la manière la plus explicite qu'il soit que, s'il désirait obtenir le premier rôle (celui de Diego, le héros fornicateur d'origine dalmate), il lui suffisait d'accepter de se retirer avec elle dans un lieu plus intime pour quelques galipettes non filmées.
Quentin se retrouva alors sans voix, mi-choqué mi-stupéfait, il n'avait pas su quoi lui répondre.
« - Comment ça « tu n'as pas su quoi répondre » ?
- Je lui ai dit que je devais y réfléchir. Elle m'a donné jusqu'à demain soir pour me positionner sur le rôle de Diego.
- J'avoue avoir du mal à comprendre, lui dis-je, tu n'es quand même pas contre l'idée de « vendre » tes prestations de chambre. Pourquoi refuser de le faire pour un rôle qui te tient à cœur ? »
N'allez pas croire que sous ses airs hésitants et prudes, Quentin fasse preuve d'une vertu sans nom. Je sais qu'en échange de quelques cadeaux de prix (manteau en cuir, montres, week-end dans des palaces...), il a pu se montrer très affectueux avec de vieilles amies : en gros, le concept de la prostitution ne lui pose pas plus de cas de conscience que ça.
« - Je ne sais pas, je crois que... je crois que je ne suis pas prêt à tout pour réussir, j'ai des limites, une morale et… et je n'avais jamais réellement réfléchi à cette possibilité. Toi, tu coucherais pour ta carrière ?
- Non, répondis-je honnêtement, mais je ne coucherai pas pour de l'argent non plus (je suis un grand généreux, je fais ça gratos moi mesdames !).
- Ce n'est pas la même chose. Je sais que ça peut paraître idiot mais c'est différent. Ce n'est pas du sexe avec une actrice payée pour ce travail comme pour un autre, ce n'est même pas une relation commerciale comme le tapin, c'est coucher pour réussir.
- Tout ce que je peux te dire Quentin, c'est que tu es le seul capable de prendre cette décision. Il n'y a que toi pour dire ce que tu es prêt à faire pour ta carrière. »

Visiblement, Quentin n'est pas prêt à se prostituer pour sa carrière (vu son passif, cela nous surprendra peut-être mais c'est ainsi, ses valeurs personnelles ne sont pas soumises à négociation). Mais nous qui avons des parcours professionnels plus « communs », jusqu'où pourrions-nous aller ?

Les histoires de coucheries dans le monde de l'entreprise sont monnaie courante (j'aurais l'occasion d'y revenir régulièrement sur ce blog, rassurez-vous) mais celles qui arrivent jusqu'à nos oreilles sont généralement assez peu liées à une soif carriériste, plutôt à une libido incontrôlable.

Cherchez un peu qui dans votre entourage professionnel aurait pu, selon vous, coucher pour donner un coup de pouce à sa carrière, vous avez déjà quelques noms ? Je sais que la médisance naturelle alimentée par les ondes de Radio Moquette fait rage dans le domaine professionnel et qu'elle vous permettrait bien de citer au moins deux noms.
Moi j'en ai bien quatre ou cinq (dont celui de ma collègue Patricia mais je ne trouve pas que sa carrière soit vraiment une réussite...). Par exemple, dans ma banque, on raconte que le Directeur marketing est parvenu à ce niveau de responsabilité grâce à ses prestations nocturnes auprès de la Directrice générale d'une autre entreprise du groupe. Bien sûr, c'est un bon Directeur marketing et ses résultats sur ce poste sont tout à fait à la hauteur, mais personne ne doute que sa relation avec quelqu'un d'aussi bien placé dans les organes décisionnels du groupe n'a pu être qu'un atout quand on a commencé à se questionner sur le nom du futur Directeur marketing. Après, allez savoir si cette relation était calculée, si cet honorable quinquagénaire s'était dit qu'en fricotant avec la belle dame, il s'assurerait une place au soleil. Moi, je doute que la situation aie été aussi clair pour ce monsieur qu'elle ne l'a été pour mon ami Quentin.

Ce dernier par ailleurs n'a pas eu à se plaindre de ses scrupules, le destin a donné raison à sa probité. Il s'avéra que la directrice du casting transportait toujours avec elle certains petits animaux forts indélicats et que le jeune acteur aux dents longues (et à l'instrument de travail de taille proportionnelle) qui a accepté de deal pour avoir le rôle de Diego, aie, après leurs petites affaires, ouvert lui aussi une réserve naturelle proposant un écosystème accueillant pour ces charmantes bestioles. La direction ayant eu vent de ce petit problème zoologique et du risque de transmission aux autres acteurs, a décidé d'éloigner le jeune premier en question et de donner le rôle de Diego à un autre. Quentin ne fut pas choisi mais il campa le personnage de Franz avec grand professionnalisme et implication, ce qui lui permit d'être remarqué par le réalisateur pour son prochain film (une sombre histoire policière à ce que j'ai compris). Peut-être que sa carrière n'a pas connu le petit coup d'accélérateur qu'il attendait mais il peut au moins se dire aujourd'hui qu'il ne la doit qu'à ses performances sexuelles et non au fait d'avoir coucher.

Ça a l'air idiot formulé comme ça...

mardi 14 juin 2011

Les 10 questions les plus débiles qu'on peut vous poser en entretien d'embauche 1/10

« Avez-vous des hobbies ? Des passions ? »

Non mais franchement, qu'est-ce qu'on peut bien en avoir à battre de vos hobbies ?
Vous pratiquez le yoga ? Vous aimez les chiens et le cinéma expressionniste allemand ? Vos romans préférés sont écrits par Stephen King et Guillaume Musso ? On s'en fout !

Ne tergiversons pas, si un RH vous pose cette question, c'est qu'il essaye de meubler l'entretien (mauvais signe) ou qu'il trouve vos hobbies tellement ringards qu'il veut plus de détails pour pouvoir se foutre de votre poire avec ses collègues une fois que vous serez parti (très mauvais signe).

Par contre, si un manager vous pose cette question (ce qui vous arrivera plus souvent qu'avec un RH), c'est qu'il va en déduire des choses des plus improbables :
vous faites du foot ? Vous avez l'esprit d'équipe,
vous faites des sudokus ? Vous aimez les chiffres,
vous faites des déguisements en crochet pour vos chiens ? Vous n'avez pas de vie sociale

On pourrait se dire que c'est un moyen comme un autre de faire passer des messages : je suis passionné, je suis sociable, je suis intelligent (hé, j'ai pas indiqué sur mon CV que je lis du Proust pour des prunes non plus)... mais attention, c'est un pari risqué ! Après tout, votre interlocuteur n'ira peut-être pas interpréter vos hobbies de la façon que vous le souhaitez. Pour lui, le fait que vous soyez président du fan-club des Chiffres et des Lettres d'Eure-et-Loire ne voudra peut-être pas dire que vous êtes à l'aise avec les chiffres mais que vous avez définitivement trop de temps libre.
Ou alors, si vous êtes un fou de voyages, il ne se dira peut-être pas que vous êtes ouvert d'esprit mais que vous risquez de lui demander un congé sabbatique d'ici un an pour faire le tour du monde.

Alors, avant de compléter la session « Hobbies » sur votre CV, réfléchissez bien à ce que vous comptez y mettre, ces informations laisseront peut-être la porte ouverte à trop de questions lors de votre entretien d'embauche.

vendredi 10 juin 2011

Ce con de recruteur !

Alors que la conversation battait son plein et que l'épineuse question de la culpabilité présumée de DSK revenait une fois de plus sur le tapis, Béatrice leva son verre et annonça un toast. Sans vraiment savoir quel en serait l'objet, nous l'imitons tous et dressons fièrement nos pintes de bières.
« À ce con de recruteur !
- À ce con ! firent tous les autres en cœur alors que je restais, seul, interloqué par l'incongruité de ce toast.
- Et bien, commençais-je, que vaut autant d'animosité envers les êtres de mon espèce ? Je croyais avoir réussi au fil de nos différentes rencontres dans ce bar miteux à redorer le blason des RH.
- Tu n'as rien réussi du tout, intervint Louise, tu n'as fait que confirmer tout ce que nous pensions des RH.
- Je suis choqué par de tels propos !
- Pas autant que nous quand tu nous racontes en te marrant tes histoires de boulot, rétorqua Karim d'un ton amusé. Vous autres, les RH, vous ne faites pas partie du même monde que nous, vous êtes … à part.
- Soit, je vois que mon œuvre de réhabilitation des RH n'est pas achevée...
- Loin de là !
- Mais quoi qu'il en soit, donnons une chance à Béatrice d'expliquer le fond de sa pensée.
- Le fond de ma pensée est clair, ce recruteur était un con.
- Allez, donne-nous des détails ! »
Béatrice finit le fond de son verre et se lança :
« - J'ai eu un entretien cet après-midi pour travailler pendant deux semaines dans le service courrier d'une grosse société de conseil. Le job consistait à de la mise sous pli toute bête mais j'ai quand même eu le droit à un entretien d'embauche en bonne et due forme, une heure au bas mot.
- Quel genre de question peut-on poser à un candidat pour ce type de poste ? s'étonna Louise. Je veux dire, je ne remets pas du tout en cause les qualités ou les compétences nécessaires pour ce job mais je me demande quand même ce que ce recruteur pouvait bien vouloir évaluer. La coordination de tes mouvements ? Ta motivation ?
- Ma motivation ? Deux semaines dans un service courrier à lécher des timbres et des enveloppes ?
- J'ai eu un boulot qui me demandait les mêmes compétences une fois, fit savoir Quentin, mais c'était sur le tournage du film « Le lit de braise d'Ericka bouche de feu II ».
- Ton plus grand chef-d'œuvre probablement. Qu'est-ce qu'il t'a posé comme question alors ?
- Oh, tout l'habituel : parlez-moi de votre parcours, des vos études, de vos précédents jobs, de votre motivation pour ce poste...
- La thune.
- L'épanouissement personnel.
- La sensation inégalable du contact de ta langue sur les bandes collantes des enveloppes en papier kraft.
- Enrichir ton CV »
Cette dernière proposition apportée par votre humble serviteur fut celle qui rapporta le plus de suffrages, elle fut dignement saluer par le tintement cristallin des pintes de bière.
« - Sérieusement, Edouard, toi qui travailles dans les RH, tu ne trouves pas ça un peu exagéré de poser autant de question pour une petite mission d'intérim de deux semaines ? Surtout sur une mission aussi facile ? »

En fait, il y a plein de raisons qui peuvent pousser un recruteur à vous cuisiner, la première d'entre elles étant qu'il en a le temps.

Louise a raison sur un point, il n'est pas nécessaire d'évaluer les compétences ou la motivation de quelqu'un pendant des heures pour prendre une décision parfois aussi simple, une décision qui ne repose peut-être même que sur un seul point : vous êtes le seul candidat que l'agence d'intérim ait envoyé et, sincèrement, que ce soit vous ou le pécore du coin qui ait le job, on n'en a un peu rien à battre.

Et pourtant, les RH le font, ils vous cuisinent, ils veulent tout savoir de vous, de votre carrière, de vos valeurs... Ils ont l'obligation de savoir qui ils ont en face d'eux avant de vous confier la plus grande des responsabilités qui soit : travailler pour leur entreprise!
Bien sûr, l'entretien d'embauche et la décision qui en découle peut varier en fonction du recruteur que vous aurez en face de vous :
  • le recruteur inexpérimenté, tout juste sorti de la fac ou parfois encore en stage, celui qui tremble et qui a les mains moites, celui qui ose vous demander en fin d'entretien si vous l'avez trouvé crédible en tant que recruteur (après tout, vous avez peut-être fait plus d'entretien que lui). Celui-là, il a dû vous faire bien marrer, vous avez pu le retourner comme une crêpe et éluder toutes ses questions trop directes pour être déstabilisantes. Le poste est à portée de main.
  • Le vieux de la vieille, celui à qui on ne la fait pas, celui qui a roulé sa bosse et qui est capable de vous juger en moins de cinq minutes, celui pour qui une poignée de main suffit pour juger le potentiel. Celui-là vous a peut-être agacé dans un premier temps mais en fin de compte, il vous a doucement fait rigoler avec ses chaussettes rouges pétantes, sa cravate tachée de gras et son nez veiné d'alcoolique, n'est-ce pas ? Quand, au lieu de vous poser des questions sur vos précédents jobs il s'obstinait à vouloir savoir ce que faisaient vos parents et si vous aviez des frères et sœurs, vous ne deviez penser qu'à une chose : comme il doit être lourdingue au quotidien, vous étiez même sûr que cette espèce de vieille baderne ne s'était jamais rendue compte que sa mutation aux RH avait été un moyen pour sa direction de le mettre au placard.
  • L'empathique compatissant, celui qui, se sentant investi d'une mission de psychothérapeute, vous pousse à lui faire part de vos ressentis les plus profonds sur vos expériences passées et qui veut avoir votre vision métaphysique sur le monde du travail. Vous qui n'étiez là que pour trouver un moyen de gagner honnêtement (enfin dans la plupart des cas) votre pitance, vous vous retrouvez avec un analyste à la gomme qui vous a presque proposé de convenir d'un entretien hebdomadaire afin de régler votre complexe d'œdipe professionnel.
  • Le débordé, celui qui travaille à la chaîne, l'ouvrier taylorien du recrutement (cas assez rare dans les RH, j'en conviens, nous ne sommes pas réputés pour être les travailleurs les plus acharnés), ses questions sont plutôt automatiques et son discours bien trop monotone à force d'être répété. Visiblement, il a rencontré une vingtaine de candidat comme vous la semaine précédente et il en rencontrera vingt de plus la semaine suivante. Celui-là, autant vous le dire tout de suite, il ne se souviendra pas de vous, vous n'êtes qu'une goutte d'eau dans un océan et votre histoire sera irrémédiablement mêlée à celle d'un candidat qui avait la mal-chance d'avoir la même coupe de cheveux que vous. Sur un malentendu, il pourra peut-être même vous embaucher. Qu'elle ne sera pas sa surprise quand il se rendra compte qu'il n'a pas pris la personne qu'il croyait.
  • Le blasé, des comme vous, il en a trop vu et, à vrai dire, il s'en fout éperdument. Celui-là, c'est votre chance : il suffit d'avoir l'air sympathique et pas trop con pour qu'il n'aille pas chercher plus loin, le poste sera pour vous ! Afin d'éviter tout effort inutile, il sera même prêt à vous donner le salaire exorbitant que vous demandez, uniquement pour ne pas avoir à négocier avec vous et risquer de reprendre toute sa recherche à zéro.
  • L'hypervendeur, celui qui vous fera la danse du ventre durant les dix premières minutes de l'entretien, celui qui, sans aucune vergogne, vous promettra une prime annuelle de 50%, un intéressement équivalent à 6 mois de salaire, une carrière assurément flamboyante et un CE plus important que celui d'EDF. Celui-là, de deux choses l'une :
  1. Soit vous êtes le seul candidat qu'il ait et alors vous avez les moyens de le faire casquer et d'augmenter de 10 à 20 K€ votre fourchette de rémunération, vous tenez la sucette par le bâton !
  2. Soit vous êtes le seul candidat assez fou pour accepter le poste : piège ! fuyez !

Cette liste est loin d'être exhaustive et je pense bien l'agrémenter de quelques autres archétypes des RH au fil du temps mais je sais déjà qu'avec celle-ci, vous penserez à moi à chacun de vos entretiens d'embauche : vous vous demanderez dans quelle catégorie peut bien entrer l'espèce de pignouf en costard cravate qui vous harcèle de questions débiles.

Moi, le pire entretien de recrutement que j'ai eu, c'était face à une femme d'une trentaine d'année, enceinte jusqu'aux dents. Croyez-le ou non, la voir se caresser le ventre tout le long de l'entretien m'a sérieusement perturbé, j'avais un peu l'impression d'être de trop dans cette pièce, d'être un élément perturbateur dans cette relation filiale qui se créait sous mes yeux. Ajoutez à cela un sourire béat, un sursaut quand le bébé s'est mis à bougé (j'ai même eu la chance de voir le ventre se déformer sous la pression vigoureuse du pied du fœtus) et une pause pipi intempestive probablement due à une vessie comprimée, j'étais aux anges.
Pendant sa longue escapade aux toilettes, je me suis mis à imaginer ma réaction si les premières contractions se déclaraient pendant l'entretien. Si nous avions été dans un film américain, je l'aurais accompagné dans l'ambulance, je lui aurais tenu la main et épongé le front pendant que son nourrisson se frayait un passage vers la lumière et nous aurions probablement fini par nous marier. Si nous avions été dans un film norvégien, elle aurait accouché à même la moquette grise de ce petit bureau sordide et j'aurais été obligé de couper le cordon ombilicale avec son coupe papier rouillé.

A la fin de l'entretien, quand elle m'a raccompagné vers la sortie et qu'elle m'a tendu la main pour me saluer, je n'avais qu'une envie c'était de jouer du tam-tam sur son gros ventre rebondi (c'est un fantasme assez étrange que je n'arrive toujours pas à m'expliquer), je me demande encore si ça aurait détendu l'atmosphère, peut-être même que j'aurais eu le job !

Je crois qu'en fait, je ne m'étais pas attendu à ce que l'on me jette à la figure tant d'informations personnelles sur mon recruteur, j'aurais nettement préféré qu'elle reste pour moi un rouage aussi anonyme que possible du processus de recrutement. Je n'étais pas là pour apprendre des choses sur elle mais pour l'inverse. Ne nous trompons pas, je peux tout à fait concevoir qu'une entreprise ne cache pas ses collaboratrices enceintes durant 9 mois sous prétexte que leur grossesse peut choquer la sensibilité de certains. Néanmoins, je persiste à penser qu'un bon recruteur doit être capable d'effacer sa propre identité face à son candidat : puisqu'il est sensé partir d'une page vierge et éviter tout apriori sur cette personne, peut-être serait-il également opportun qu'il se présente le plus vierge possible lui aussi en entretien (étant donné le palmarès sexuel de ma collègue Patricia, il me semble difficile pour elle d'accomplir une telle prouesse !).
Pour en finir avec ce « con de recruteur » que nous blâmons quand il ne nous recrute pas mais que nous bénissons tous quand il nous rappelle enfin, sachez que Béatrice n'a pas eu le poste. La raison invoquée a été le manque de motivation réelle pour la mission proposée. Béatrice s'en est évidemment remise, elle est comme les cafards, elle a la peau dure. Et puis, avec le recul, elle a fini par se dire que rencontrer un con de plus lors de sa sempiternelle recherche d'emploi lui aura au moins servi d'entrainement, qu'elle saura sûrement se montrer plus convaincante la prochaine fois qu'on lui demandera pourquoi elle souhaite éperdument coller des timbres sur des enveloppes.