Vous n'avez
pas idée du nombre de candidat au nom marrant qu'un RH peut être
amené à contacter. Et vous n'avez pas idée à quel point il peut
être difficile de contacter ces même candidats sans jamais perdre
son sérieux. Contacter M. Hanus ou Mlle Salaupe sans se marrer peut
s'avérer l'une des expériences les plus éprouvantes de toute une
carrière. Sans compter que, dans ce cas précis, tous vos collègues
vous espionnent avec attention, retiennent leur souffle et répriment
leur sourire en espérant avec gourmandise le moment où vous allez
craquer et pouffer de rire à votre tour.
Quand
j'étais stagiaire dans un cabinet de recrutement, nous avions même
monté un concours hebdomadaire sur ce sujet. Chaque participant
devait récolter 10 CVs aux noms poilants, le premier à avoir
atteint ce but pouvait imposer à la personne de son choix d'appeler
les dix candidats devant tout le reste de l'équipe (ne nous jugez
pas, il fallait bien que nous trouvions un but à nos mornes
journées).
Question
« noms à se dilater la rate », il y en a plusieurs
catégories :
- Nous
passerons vite sur les noms imprononçables avec des mentions
spéciales pour les noms sans voyelle ou ceux au nombre de syllabe
incalculable. Pour parvenir à contacter ces candidats, on peut se
faire couard et éviter de prononcer leur nom de toute la
conversation (ça n'est pas aussi difficile que cela n'y paraît) ou
on peut s'entraîner avant. Sachez que cette dernière option peut
s'avérer assez dangereuse mais, même si elle est à moitié
réussie, elle sera très flatteuse pour votre interlocuteur.
- Il y aussi
les prénoms asexués qui laissent toujours une surprise au
recruteur. La plupart du temps, nous recherchons des indices sur le
CV : il y a un « e » à « Chargée », c'est
une femme, il joue au foot, c'est un homme. Ben c'est pas si évident
que ça... Une fois, j'ai contacté Dominique Martin, candidat qui
pratiquait la boxe thaï et lisait Marc Lévi avec passion. Malgré
le long échange téléphonique que nous avions eu, j'étais bien
incapable de déterminer si Dominique Martin était un homme ou une
fumeuse de gitanes.
- Les
prénoms et les noms légèrement connotés sont aussi bien marrants.
Que dire de ce pauvre Chef de projet MOA nommé Jacques Daniel, de
cette assistante de direction appelée Sue Helen Desforges ou de ce
commercial d'origine espagnole appelée Jesus Hernandes ? Des fois,
ça tombe à point nommé. En pleine affaire Strauss-Khan/Diallo,
j'ai eu la chance de recruter une Nafissatou (alors je n'en avais
jamais rencontré auparavant !).
L'un des
plus beaux moments de la carrière d'un recruteur, c'est le jour où,
alors qu'il s'y attend le moins, il fait un doublée (ou encore
mieux, une triplette) : il parvient à recruter dans un laps de temps
assez court deux ou trois candidats au nom poilant et lié entre eux.
Ça, ça vous remplit d'une fierté incommensurable, ça fait de ces
histoires que l'on raconte avec délice à ses petits enfants un soir
d'hiver au coin du feu, de ces anecdotes piquantes qui, atour d'une
bouteille de champagne, font briller en soirée. Une de mes anciennes
collègues répétait avec fierté que, la même semaine, elle avait
pu recruter Mme Annie Bar et M. Lespenisse. Elle m'a même avoué à
demi-mot qu'elle avait infructueusement insisté auprès d'un manager
pour recruter Mme Annick Nique histoire de réaliser un triplé. Cela
reste un de ces plus gros regrets de sa carrière.