entrée en matière

"Bonjour, Edouard W. des Ressources Humaines"

Ce que j'aime avec cette entrée en matière, c'est qu'elle a le don de refroidir quelque peu l'atmosphère : le sourire de mon interlocuteur se fige, les discussions autour de moi se tassent et j'ai légère mais nette impression d'être perçu comme un membre de la Stasi en train de prendre des notes. Moi, la méfiance qu'inspire ma fonction ne me dérange pas (au contraire !). Et puis, vous savez, en tant que RH, on en voit de toutes les couleurs, il y a de quoi rigoler tous les jours (ou bien pleurer parfois). Ce blog est une manière pour moi de partager toutes ces anecdotes et mes réflexions sur l'une des fonctions les plus dénigrées du monde de l'entreprise.

vendredi 22 février 2013

Je donne ma démission !

Béatrice, notre démissionnaire hors pair, était un peu dépitée la semaine dernière. Une fois encore, elle avait décidé de mettre fin à sa période d'essai, le poste et l'entreprise ne contribuant pas du tout à son épanouissement professionnel (c'était à se demander ce qui pourrait un jour y contribuer).
 
"- Que se passe-t-il ? demanda Louise, je n'ai jamais vu une démission te mettre dans un état pareil. Tu as peur de te retrouver au chômage ou quoi ?
- Non, j'ai l'habitude, c'est juste que...
- Que quoi ? insistons-nous.
- Vous savez que j'ai posé ma démission lundi dernier. Quand je l'ai annoncé à ma mère, elle n'en a rien eu à foutre, elle n'a fait que me bassiner avec la démission du pape.
- J'en reviens pas, s'étonna Quentin, tu es vexée que Benoît XVI t'aie piqué la vedette ?
- Les démissions de pape arrivent tous les 6 siècles, intervint Karim. Toi, tes démissions c'est tous les 6 mois. Ce n'est pas étonnant que la sienne soit plus marquante.
- Ma propre mère !
- Ça me rappèle Farrah Fawcett, dis-je, elle est morte le même jour que Michael Jackson. Du coup, son décès est passé inaperçu, c'est triste pour elle.
- Quand même, quel salaud ce Benoît ! Te coiffer au poteau comme ça ? Mufle !"
Béatrice gardait le regard plongé dans son verre, elle savait bien qu'on ne pouvait que se moquer d'elle. Il n'empêche, elle n'en n'était pas moins vexée du coup de cochon que venait de lui infliger le pape.

lundi 11 février 2013

Toute première fois, tout-toute première fois

Les premiers entretiens d'embauche que l'on passe représentent toujours une étape importante de notre carrière. Qu'on le veuille ou non, tel une Bar Mitzva professionnelle, ils marquent pour chacun d'entre nous l'entrée dans le monde actif, un rite initiatique obligatoire, plus ou moins douloureux selon les cas.

Les premiers entretiens sont assez amusants à mener (enfin, quand on est du bon côté de la barrière, bien entendu). Le candidat est soit la personne la plus stressée que vous ayez jamais rencontrée, soit le gars le plus décontracté que la Terre aie jamais porté. Dans les deux cas, il va probablement échouer cet exercice si particulier qu'est l'entretien d'embauche (et oui, comme beaucoup de chose, la première fois n'est pas terrible terrible). Après tout, c'est un exercice fortement ancré dans la tradition, réglementé par une multitude de codes et de règles tacites et durant lequel le candidat devra jouer les équilibristes avec deux ou trois gros boulets accrochés aux pieds :
  • manque d'expérience : 2 kg sur la cheville droite
  • incapable de dire un mot sans piquer un fard ou rigoler bêtement : 4 kg pendus au poignet gauche
  • un nœud de cravate encore moins bien réussi que celui de François Hollande : 1 kg accroché autour du cou
  • il n'a rien compris à l'activité de l'entreprise tout en ayant déclaré pendant vingt bonnes minutes que cela le passionnait plus que tout au monde : une tonne au pied gauche.
Moi j'aime bien ces candidats stressés comme jamais, c'est cruel me répètent mes amis mais je trouve ça d'un drôle ! Ils vous attendent assis bien droit dans le hall d'entrée, les lèvres pincées, le regard fixe, la cravate ou le chignon quelque peu affecté par un contrôle incessant et moite. Ils bredouillent un « 'jour » à peine audible et ont déjà les pommettes plus rouges que du Merlot.
C'est une fois assis en face de moi, tétanisé à l'idée de dire une bêtise qui leur ferait perdre cette opportunité, que je commence réellement à me fendre la poire: 
  • Ils tombent dans les pièges les plus grossiers qui soient. Ils y sautent à pieds joints, avec le sourire et en faisant de grands signes de la main.
  • Ils n'ont aucune notion du professionnellement correct et de ce qui peut être entendu ou non lors d'un entretien d'embauche (« Avez-vous des questions ? » « Oui, à partir de quand peut-on prendre des vacances ? »)
  • Ils répètent tout ce qu'ils ont pu lire sur internet en se disant que c'était probablement la meilleure source d'information qui soit (« Mon principal défaut ? Je suis trop perfectionniste », les recruteurs sauront de quoi je parle)
  • Tellement obnubilés par leur prestation, ils n'écoutent pas un mot de ce que peuvent raconter leurs interlocuteurs (et là, ce qui est vraiment rigolo, c'est de demander au candidat de nous écrire un petit résumé de l'entretien et de voir sa face se décomposer).
Bon, je vous rassure quand même, il y a des candidats qui ont plus d'heures de vol que Saint-Exupéry et qui continuent à faire allègrement les mêmes erreurs. Seule différence, on ne leur pardonne plus grand chose passés 25 ans.
 
Avec sa classe légendaire, Grégoire m'a affirmé à plusieurs reprises que le premier entretien était en tout point similaire à un dépucelage. Les novices sont patauds, empressés ou complètement amorphes, ils essayent de reproduire ce qu'ils ont vu sur internet (là, dans les deux cas, c'est souvent ce qu'il a de pire à faire) et repartent parfois déçus, toujours transpirants mais en tout point soulagés.
"- Parfois, a-t-il même ajouté, j'ai l'impression d'être la vieille prostituée du village qui voit passer tous les ados pré-pubères du canton.
- La comparaison est d'un goût... Enfin, je note que tu te compares à une vieille pute et, pour le coup, je suis sûr que beaucoup de monde partage cette idée.
- Très drôle W. Tu te souviens qui tu as déniaisé dernièrement ?
- Une gamine de 20 ans qui a passé tout l'entretien à se mordre la lèvre supérieure.
- Qu'est-ce que je disais, rétorqua-t-il avec un sourire goguenard avant de reprendre une gorgée de bière. Il y a même des fois où il faut s'acharner et se montrer agressif pour faire parler ces petits puceaux. T'as pas déjà eu l'impression de violer leur intimité avec tes questions ? De devoir les torturer pour avoir la moindre réponse ?
- Souvent. Tu te souviens de ta 1ère fois toi ?
- En tant que candidat ou en tant que recruteur ?
- Les deux.
- Pas vraiment non... admit-il.
- C'est peut-être un moment difficile à passer mais il s'oublie rapidement en fin de compte, pas comme le dépucelage. "

La 1ère fois d'un recruteur est aussi un moment cocasse, surtout si elle coïncide avec la 1ère fois du candidat. Les échanges se font rares, l'un craignant de dire une bêtise, l'autre d'oublier une question. L'ambiance est tendue, les aisselles humides et la température monte vite dans la pièce. La maladresse transpire de partout, les intervenants on dû mal à respirer et ne savent pas vraiment quoi faire de leurs mains.

En tout cas, c'est vite fini, les deux sont gênés au moment de se dire au-revoir et, souvent, l'un des deux ne rappellera jamais l'autre.