Les premiers
entretiens d'embauche que l'on passe représentent toujours une étape
importante de notre carrière. Qu'on le veuille ou non, tel une Bar Mitzva
professionnelle, ils marquent pour chacun d'entre nous l'entrée dans le
monde actif, un rite initiatique obligatoire, plus ou moins
douloureux selon les cas.
Les premiers
entretiens sont assez amusants à mener (enfin, quand on est du bon
côté de la barrière, bien entendu). Le candidat est soit la
personne la plus stressée que vous ayez jamais rencontrée, soit
le gars le plus décontracté que la Terre aie jamais porté. Dans
les deux cas, il va probablement échouer cet exercice si particulier
qu'est l'entretien d'embauche (et oui, comme beaucoup de chose, la
première fois n'est pas terrible terrible). Après tout, c'est un
exercice fortement ancré dans la tradition, réglementé par une
multitude de codes et de règles tacites et durant lequel le candidat
devra jouer les équilibristes avec deux ou trois gros boulets
accrochés aux pieds :
manque
d'expérience : 2 kg sur la cheville droite
incapable
de dire un mot sans piquer un fard ou rigoler bêtement : 4 kg
pendus au poignet gauche
un nœud
de cravate encore moins bien réussi que celui de François Hollande
: 1 kg accroché autour du cou
il n'a
rien compris à l'activité de l'entreprise tout en ayant déclaré
pendant vingt bonnes minutes que cela le passionnait plus que tout
au monde : une tonne au pied gauche.
Moi j'aime
bien ces candidats stressés comme jamais, c'est cruel me répètent
mes amis mais je trouve ça d'un drôle ! Ils vous attendent assis
bien droit dans le hall d'entrée, les lèvres pincées, le regard
fixe, la cravate ou le chignon quelque peu affecté par un contrôle
incessant et moite. Ils bredouillent un « 'jour » à
peine audible et ont déjà les pommettes plus rouges que du Merlot.
C'est
une fois assis en face de moi, tétanisé à l'idée de dire une
bêtise qui leur ferait perdre cette opportunité, que je commence
réellement à me fendre la poire:
Ils
tombent dans les pièges les plus grossiers qui soient. Ils y
sautent à pieds joints, avec le sourire et en faisant de grands
signes de la main.
Ils
n'ont aucune notion du professionnellement correct et de ce qui peut
être entendu ou non lors d'un entretien d'embauche (« Avez-vous
des questions ? » « Oui, à partir de quand peut-on
prendre des vacances ? »)
Ils
répètent tout ce qu'ils ont pu lire sur internet en se disant que
c'était probablement la meilleure source d'information qui soit («
Mon principal défaut ? Je suis trop perfectionniste »,
les recruteurs sauront de quoi je parle)
Tellement
obnubilés par leur prestation, ils n'écoutent pas un mot de ce que
peuvent raconter leurs interlocuteurs (et là, ce qui est vraiment
rigolo, c'est de demander au candidat de nous écrire un petit
résumé de l'entretien et de voir sa face se décomposer).
Bon, je vous
rassure quand même, il y a des candidats qui ont plus d'heures de
vol que Saint-Exupéry et qui continuent à faire allègrement les
mêmes erreurs. Seule différence, on ne leur pardonne plus grand
chose passés 25 ans.
Avec sa
classe légendaire, Grégoire m'a affirmé à plusieurs reprises que
le premier entretien était en tout point similaire à un dépucelage. Les novices sont patauds, empressés ou complètement
amorphes, ils essayent de reproduire ce qu'ils ont vu sur internet
(là, dans les deux cas, c'est souvent ce qu'il a de pire à faire)
et repartent parfois déçus, toujours transpirants mais en tout
point soulagés.
"- Parfois, a-t-il
même ajouté, j'ai l'impression d'être la vieille prostituée du
village qui voit passer tous les ados pré-pubères du canton.
- La
comparaison est d'un goût... Enfin, je note que tu te compares à
une vieille pute et, pour le coup, je suis sûr que beaucoup de
monde partage cette idée.
- Très
drôle W. Tu te souviens qui tu as déniaisé dernièrement ?
- Une
gamine de 20 ans qui a passé tout l'entretien à se mordre la lèvre
supérieure.
- Qu'est-ce
que je disais, rétorqua-t-il avec un sourire goguenard avant de
reprendre une gorgée de bière. Il y a même des fois où il faut
s'acharner et se montrer agressif pour faire parler ces petits
puceaux. T'as pas déjà eu l'impression de violer leur intimité
avec tes questions ? De devoir les torturer pour avoir la moindre
réponse ?
- Souvent.
Tu te souviens de ta 1ère fois toi ?
- En tant
que candidat ou en tant que recruteur ?
- Les
deux.
- Pas
vraiment non... admit-il.
- C'est
peut-être un moment difficile à passer mais il s'oublie rapidement
en fin de compte, pas comme le dépucelage. "
La 1ère
fois d'un recruteur est aussi un moment cocasse, surtout si elle
coïncide avec la 1ère fois du candidat. Les échanges se font
rares, l'un craignant de dire une bêtise, l'autre d'oublier une
question. L'ambiance est tendue, les aisselles humides et la
température monte vite dans la pièce. La maladresse transpire de
partout, les intervenants on dû mal à respirer et ne savent pas
vraiment quoi faire de leurs mains.
En tout cas,
c'est vite fini, les deux sont gênés au moment de se dire au-revoir et, souvent, l'un des deux ne
rappellera jamais l'autre.